Le pari de Stephen Harper

L’appui formel de l’ancien premier ministre canadien Stephen Harper au candidat à la chefferie conservatrice Pierre Poilievre la semaine dernière a fait couler beaucoup d’encre. Tactique revancharde contre son ancien adversaire Jean Charest ou preuve de la montée du trumpisme ? Tous ont leur idée sur les motivations qui ont provoqué cette sortie inattendue.
Serait-il possible que l’ancien chef du Parti conservateur ait tout simplement agi pour ce qu’il pense être le mieux pour son parti ? Nous le savons, une course à la chefferie est parfois un exercice difficile pour l’unité d’une formation politique. Des mois de débats mettent en exergue des différends idéologiques parfois profonds, minant du fait même la cohésion de l’organisation, surtout lorsque cette lutte est serrée.
L’ancien premier ministre en sait sûrement quelque chose. L’un des meilleurs exemples est survenu lors de la course à sa succession. Rappelons qu’Andrew Scheer avait eu le dessus sur son rival Maxime Bernier après un scrutin interminable de 13 tours ! Bernier a par la suite joué les électrons libres pendant quelque temps avant de quitter définitivement les conservateurs pour fonder le Parti populaire, qui mine dorénavant le flanc droit de son ancienne formation.
Stephen Harper croit peut-être pouvoir éviter ce scénario et juge que sa sortie facilitera le processus électif. Soit en réduisant le nombre de tours si la course est serrée entre Poilievre et Charest, ou alors en offrant une victoire convaincante à son dauphin dès le premier tour s’il jouit déjà, selon ses dires, d’une avance confortable. Le but étant d’éviter à tout prix une victoire obtenue à l’arraché afin de tuer dans l’oeuf l’idée d’une nouvelle formation politique ralliant les progressistes-conservateurs qui fragmenterait encore plus le vote de droite.
D’autant plus que le salut du Parti conservateur ne se trouve pas nécessairement au centre. Rappelons que ce fut la stratégie d’Erin O’Toole lors de la dernière élection. Le centriste de l’Ontario n’a pas réussi à faire mieux que son homologue pro-vie Andrew Scheer avant lui, alors même que ce dernier s’était embourbé dans sa position entourant l’avortement lors d’un débat télévisé.
Monsieur Harper en est peut-être venu à la conclusion que les gains potentiels au centre atteignent leurs limites et que si tel est le cas, il vaut mieux offrir aux électeurs une option conservatrice assumée permettant de faire le plein de votes dans le bassin conservateur traditionnel. Cette manoeuvre permettrait du même coup de saper le potentiel de développement du Parti populaire de Maxime Bernier avant que celui-ci ne s’installe durablement dans le paysage politique canadien, ce qu’une offre trop centriste risque de favoriser encore davantage.
Il suffit alors d’espérer que l’usure du Parti libéral favorise naturellement l’alternance du pouvoir et que les talents d’orateur du candidat Poilievre soient suffisants pour offrir un discours résolument conservateur aux électeurs tout en évitant le bourbier des prises de position équivoques sur les questions qui hantent toujours sa formation pour prendre le pouvoir. Un pari qui n’est pas gagné d’avance, mais qui demeure toutefois jouable.