Le cirque du pardon

«La visite du pape François aux communautés autochtones et sa demande de pardon n’ont de valeur ou de poids que si cette institution change d’attitude, corrige et répare les innombrables crimes commis par ses membres», écrit l'auteur.
Photo: Andreas Solaro Agence France-Presse «La visite du pape François aux communautés autochtones et sa demande de pardon n’ont de valeur ou de poids que si cette institution change d’attitude, corrige et répare les innombrables crimes commis par ses membres», écrit l'auteur.

L’institution Église n’a pas la compétence de traiter du pardon, car depuis des décennies, elle ne cesse de camoufler sciemment les méfaits de son clergé commis partout dans le monde. Elle dénigre le pardon dans sa pratique relationnelle et cultuelle. Elle se pense immunisée. En vérité, elle ne défend nullement le droit, la justice et le pardon qu’elle doit défendre. Du coup, elle est démissionnaire et ses requêtes ne sont pas entendues.

La visite du pape François aux communautés autochtones et sa demande de pardon n’ont de valeur ou de poids que si cette institution change d’attitude, corrige et répare les innombrables crimes commis par ses membres.

Jésus n’a pas demandé à fonder une institution. Il était contre le mercantilisme et l’hypocrisie cléricale du temple de son époque. Il a plutôt demandé de prier dans le secret de sa chambre. Nul besoin d’intermédiaires et de faux représentants qui abusent de la naïveté des gens. Nul besoin d’un organisme qui impose ses quatre volontés et asservit les consciences. L’institutionnalisation du christianisme, calquée sur le modèle païen, n’est arrivée qu’au IVe siècle, après la conversion de Constantin et de l’Empire romain. Le message original a été déformé.

Selon le mécanisme même de la réconciliation, il n’y a de pardon qu’après une pleine et juste réparation, sinon, c’est une blague, une autre injustice flagrante qui s’ajoute à celle déjà commise. Comment alors ramener la dignité à ceux et celles qui [ont fait les frais] d’actes monstrueux ? Comment réparer et purifier leur mémoire ? Comment regagner la confiance des générations futures et des proches encore traumatisés par des révélations qui n’en finissent pas de s’ajouter ? De nouvelles tombes anonymes potentielles auraient été découvertes la semaine dernière. D’autres pourraient être bientôt divulguées.

Les robes noires estiment à tort qu’il serait facile de simuler le pardon en recourant à l’apparat et à l’autorité. Elles n’ont pour pouvoir que celui que nous leur accordons. Elles seraient, au fond, deux fois plus responsables de ces torts parce que conscientes de leur gravité morale.

Le sommet de février 2019 pour la protection des mineurs a promis un vent nouveau, une ère de ménage et de réparation. Rien n’a été fait depuis. Ce n’étaient que des voeux pieux pour sauver la face de l’Église et redorer son blason. Du bluff, comme d’habitude et comme nous allons sans doute en entendre dans les jours qui viennent. Et on embarque quand même dans ce défilé de sentimentalisme religieux, crédules et vulnérables.

Où est la volonté de l’Église de s’amender honorablement ? Quels gestes concrets ont été posés pour extirper ce cancer généralisé ? Un ami a envoyé plusieurs lettres recommandées au Vatican et à la nonciature apostolique d’Ottawa, encouragé par les promesses de rectitude et de transparence formulées durant ce sommet. Il réclamait la démission et la suspension d’un évêque qui a giflé, ensanglanté et brisé les lunettes d’un marguillier en pleine messe.

Une escouade policière est arrivée. Elle a vidé le temple et l’évêque en question a été mis en état d’arrestation. Cependant, la victime, voulant garder sauve la réputation de sa communauté, n’a pas porté plainte ni engagé de poursuites au civil. Elle a voulu qu’on lui rende justice en interne. Les autorités ecclésiales lui ont répondu par le silence de l’omerta, aussi blessant que l’agression physique et psychologique subie. Cet évêque a eu des promotions depuis et il a été reçu avec tous les honneurs malgré le dossier volumineux de témoignages acheminé contre lui. Il se balade impunément partout, avec ses dorures. Comment croire alors à cette volonté promise de rectification et de repentir ?

La demande de pardon de François est celle d’un pape bon enfant. L’institution, si rigide, ne suit pas. La preuve, lors de la visite de la délégation autochtone au Vatican l’hiver dernier, et lors des rencontres officielles, seuls deux cardinaux étaient présents. Aucun intérêt de la part des autres qui brillaient par leur absence. Pourquoi tourner le couteau dans les plaies et essuyer des reproches ?

Ça prend un changement d’attitude pour légitimer et authentifier un pardon, sinon, ce n’est qu’un cirque cynique, un défilé de paroles creuses, une occasion de plus pour se jouer, voire se moquer, de la bonne foi des gens.

L’Église n’est pas l’institution, mais la réunion de quelques fidèles qui aiment ce qui est transcendant. Tout le reste est parure, fioriture.

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