Hugo Houle, le petit gars de Sainte-Perpétue

J’ai eu Hugo Houle comme élève en 2006, assez effacé pour qu’on doive me le rappeler. C’était en quatrième secondaire, sur la Rive-Sud, là où il y a plein de saints : Sainte-Eulalie, Saint-Wenceslas, Sainte-Brigitte, Saint-Célestin, Sainte-Gertrude, Sainte-Perpétue ! Là–bas, les épis sont de l’or, les pommes de terre, des pierres précieuses ; les vaches sont aussi sacrées qu’aux Indes, leur lait est un nectar dont on ne saurait se passer et les étoiles servent de lampadaires. Mes élèves se payaient une heure et plus d’un voyage tape-cul dans des autobus jaunes Chiquita tous les matins, souvent après avoir fait le train dans l’étable à l’aube.
Ils déposaient sur mon bureau la clé des champs, prérequis essentiel pour que je puisse leur enseigner quoi que ce soit : d’ailleurs, ce sont eux qui me montraient comment leur enseigner. Et pas question que je leur donne la lune, juste l’échelle pour qu’ils aillent la décrocher. Et puis, il fallait que je sois exotique comme eux, on s’amenait respectivement ailleurs. C’étaient des rats des champs. La terre, ils la marouflaient, la pétrissaient, la défrichaient, la chérissaient. C’est rondement qu’ils la faisaient tourner !
Parmi eux, des phénomènes, des athlètes démesurés, des ascètes de l’endurance ! J’en ai eu un qui, les jambes en bretelles, avait remporté un cross-country à cloche-pied, une espadrille en moins : un trotteur qui pouvait partir de son village pour se rendre à l’école en courant à grandes foulées. Et depuis quelques années, j’ai découvert ce petit perdu de Sainte-Perpétue qui, sur son vélo, le moteur bien installé à gauche derrière le sternum, les valves au rouge, a roulé jusqu’à ce qu’il dépasse son ombre et qu’on le propulse au Tour de France.
Le Tour de France, c’est la quatrième dimension des sports professionnels, une discipline de Dieu qui se tient dans l’invisible, étant peu ou pas couverte par les médias, enfin ici au Québec, à moins qu’il y ait dopage. Hugo Houle peut se promener anonyme à travers n’importe quelle foule.
Et pourtant, bête de somme et général de son équipe, Hugo Houle a mouliné à 40 ou 50 kilomètres, les jambes à l’équerre, le coeur au quart de tour, le dos en arc-en-ciel, et a sué comme un cochon pour grimper le mont Ventoux, véritable échelle de Jacob. Au sommet, Dieu l’attendait. De là, Hugo pouvait tenir haute sa tête devant « les formules 1 » qui, nauséeuses, tournent toujours en rond et rampent en bas.
Une troisième place, qu’il a faite, Hugo Houle, à la 13e étape, la quintessence du cyclisme, l’ivresse des hauteurs, un exploit démesuré, à la hauteur de l’Olympe. Et au moment où ces lignes étaient écrites,il remettait ça encore, jusqu’à remporter la 16e étape ! Ce faisant, il a signé le deuxième succès canadien de l’histoire de la Grande Boucle (le premier remontant à Steve Bauer, en 1988) et, surtout, le premier succès québécois !
S’il retourne à son alma mater, le petit gars de Sainte-Perpétue mérite un accueil avec fanfare et trompettes. Grisé par les montagnes, il n’aura pas besoin de se saouler et il pourra brandir son maillot en étendard au bout de ses bras, panache humble et discret, mais combien plus brillant que la coupe Stanley.
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