Il faut civiliser la Fonderie Horne

Vue du nord, la Fonderie Horne et son champ de déversement à Rouyn-Noranda, propriété du géant minier Glencore.
Photo: Marie-Raphaëlle Leblond Vue du nord, la Fonderie Horne et son champ de déversement à Rouyn-Noranda, propriété du géant minier Glencore.

Terminée en plein hiver de 1927, par des froids sibériens et alors que l’électricité vient à peine d’arriver dans le lointain canton de Rouyn, la Noranda ne lésine pas sur les moyens pour compléter la construction de son parc industriel, un immense ouvrage nordique dont l’achèvement tient du miracle. Ce sera sans contredit l’un des exploits d’ingénierie les plus frappants de l’entre-deux-guerres au Canada.

Édifier un tel monument au milieu de la forêt boréale, haut-fourneau et cheminée compris, à plus de deux jours de canots de la gare la plus proche, apparaît évidemment comme un projet démesuré, une lubie invraisemblable et funeste.

Mais rien n’est impossible à ceux qui croient.

Et cette compagnie, justement, la Noranda Mines, a de tout temps entretenu une foi non tuable en sa bonne étoile. On ne renvoie pas si facilement chez soi des hommes à qui l’on a promis de l’or. Des moyens inouïs sont déployés par les investisseurs américains pour acheminer dans des chemins forestiers à peine ouverts 2400 tonnes d’acier et 500 000 briques, halés le plus souvent par des chevaux sur des plateformes munies de patins à neige.

Photo: Marie-Raphaëlle Leblond

L’ouvrage culminera bientôt à plus de 80 mètres, jetant dans le ciel des nuages perceptibles jusque dans la région d’Amos. Dans les journaux de l’époque, on annonce la destruction certaine du couvert forestier voisin. Les curieux sont invités à admirer au plus vite les beautés sauvages de l’endroit, avant que la pollution ne les flétrisse. Tout cela, bien entendu, est envisagé avec philosophie. La Noranda a obtenu une entorse à la Loi des mines — gracieuseté du gouvernement Taschereau — afin de n’être jamais inquiétée par d’éventuelles poursuites pour dommages à l’environnement.

Une guerre à finir

Rien, dans son histoire centenaire, n’a pu freiner la marche de cette institution. C’est à elle seule qu’elle arrache une ville entière à la forêt et qu’elle force les gouvernements à venir y assurer des services.

Par le jeu des minières qui s’entredévorent, la vieille citadelle grise est désormais l’une des places fortes de l’empire Glencore. Pointées du doigt pour ses effets néfastes sur la santé des citoyens — elle relâche 14 000 kilos d’arsenic dans l’air annuellement — la Fonderie, bien qu’elle semble avoir plus d’un tour dans sa poche, est pourtant à court d’imagination et d’argent dès qu’il s’agit de respecter les normes de la Santé publique.

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Il serait trop coûteux, nous dit-on, de développer un procédé pour capter les particules restantes. C’est une réponse très difficile à croire.

C’est une rengaine que l’on répétait déjà au temps de nos grands-pères, à l’époque des méchants communistes et des bons patrons. Et il aura fallu une action citoyenne patiente, acharnée, afin d’obtenir la construction d’un plan d’acide capable de réduire considérablement les émanations toxiques. Ce dispositif, payé par l’argent public en 1989, et que la Fonderie refusa très longtemps d’adopter, elle en parle à présent comme l’une de ses grandes réussites et un gage de sa bonne foi !

Souvenons-nous. Ce n’est pas notre premier bras de fer contre ce monstre d’arrogance, de brique et d’acier. Richard Desjardins en rappelait d’ailleurs le souvenir plus tôt cette semaine dans un entretien au Journal de Montréal.

En 1976 déjà, René Lévesque marquait les esprits en proposant de civiliser la Noranda. Le mot porte encore, juste et loin, malgré un demi-siècle de distance. Il nous reste une guerre à finir ici contre la barbarie.

Un empire de férocité

 

Le groupe anglo-suisse Glencore, parmi les entités financières les plus puissantes au monde, connaît depuis le début de la pandémie des années fastes avec près de cinq milliards de profits nets l’année dernière. Corrompue et grossière jusqu’à la caricature, cette firme secrète n’en finit plus d’accumuler les déboires légaux et les sanctions financières. Les méthodes les plus déshonorantes ne l’embarrassent pas. En 2017, le département de la justice américaine déposait un dossier à Houston pour saisir près de 145 millions en biens, incluant un yacht d’une valeur de 80 millions — et long de 215 pieds — appelé le Galactica Star, acheté par des intermédiaires de Glencore pour l’offrir à la ministre des Ressources pétrolières du Nigéria.

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Reconnue maintes fois coupable d’ingérence politique grave, de corruption, de manipulation des marchés, Glencore affiche un mépris assumé des lois et des gouvernements nationaux où elle opère. Dans un règlement juridique récent, on estimait à plus de 100 millions la somme dépensée en pots-de-vin au Brésil, au Nigéria, au Cameroun, en Côte d’Ivoire, en Guinée équatoriale, au Soudan Sud et au Venezuela entre 2007 et 2018. Surtout, elle attente à la dignité humaine.

Soupçonnée de participer indirectement à l’exploitation des enfants au Congo, Glencore empoisonne l’eau courante au Pérou, saccage des territoires traditionnels autochtones en Australie et déverse 85 millions de litres d’eaux usées dans des champs agricoles du Tchad. Ses mines de charbon, qu’elle souhaite exploiter jusqu’à l’épuisement, font tourner sans relâche les centrales électriques du Mpumalanga en Afrique du Sud, qu’on estime être la région la plus polluée du monde. Plus de 2200 décès prématurés et 9000 cas de bronchites infantiles découleraient de la pollution extrême qui sévit là-bas.

L’heure des comptes

Assiégés par des barbares, les citoyens de Rouyn-Noranda commencent à se fatiguer des mensonges et des dissimulations. L’acceptabilité sociale vacille. Les alliés historiques de la Fonderie sont à l’heure des comptes et chacun, maintenant, ose la répudier publiquement. Tous ont retrouvé leur langue, par miracle ou par hasard. Tous excepté madame la mairesse Diane Dallaire qui, elle, gesticule mystérieusement en direct à l’émission 24-60 d’Anne-Marie Dussault, ne sachant plus à quel saint se vouer.

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La Fonderie Horne peut faire mieux, c’est une évidence et tout le monde le sait. Mais il faudra d’abord l’y forcer. Citoyens, encore un effort donc…

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