La souveraineté de l’Arctique canadien passe par son développement

«Sur le plan social, un réseau d’infrastructures civiles permettrait une occupation pérenne du territoire en plus de contribuer aux objectifs de défense d’Ottawa», écrit l'auteur.
Photo: Nathan Denette La Presse canadienne «Sur le plan social, un réseau d’infrastructures civiles permettrait une occupation pérenne du territoire en plus de contribuer aux objectifs de défense d’Ottawa», écrit l'auteur.

La semaine dernière, le gouvernement Trudeau annonçait une somme de 4,9 milliards de dollars sur six ans pour moderniser la cinquantaine de radars couvrant la frontière nord du pays, ceux-ci étant maintenant incapables de détecter les nouvelles générations de missiles. Au total, ce sont 40 milliards sur 20 ans qui auront été promis pour défendre la souveraineté de l’Arctique canadien. N’aurait-il pas été plus profitable d’allouer ces sommes au développement de la région ?

Investir de tels montants pour surveiller un territoire peuplé principalement d’ours polaires et d’îlots de populations séparés chacun par des milliers de kilomètres de steppe glacée peut sembler absurde, mais ce serait oublier que l’Arctique fait partie intégrante de l’identité canadienne, une caractéristique que bien peu de pays possèdent — la Russie et quelques pays scandinaves partagent ce trait avec nous. (Cela est moins clair pour les États-Unis, où la Californie, le Texas ou la ville de New York ont bien plus façonné l’identité américaine que l’Alaska.)

Or, même si l’Arctique compte pour 40 % du territoire canadien, seulement 0,5 % de la population du pays y vit. Il y a moyen de faire mieux. Il faut investir en Arctique, mais il faut surtout y construire des ponts, des routes, des ports et d’autres infrastructures civiles, bien avant une série de radars dispersés à travers la toundra.

Dépenser une telle somme pour quelques bijoux technologiques nichés aux confins du Grand Nord alors qu’un rapport de l’Institut climatique du Canada paru ce mois-ci sonne l’alarme sur l’état de nos « infrastructures nordiques délabrées » est paradoxal.

Au moment où cet immense territoire, autrefois impénétrable, s’ouvre graduellement à nous au rythme d’un réchauffement climatique déjà bien amorcé dans la région, celui-ci devient étonnamment moins accessible du fait de la vétusté des infrastructures en place, qui n’ont jamais été conçues pour résister à la fonte du pergélisol.

Plusieurs diront que c’est peut-être mieux ainsi, qu’il vaut mieux garder ces vastes étendues à l’état sauvage, mais nous voyons que l’Arctique se transforme déjà, avec ou sans intervention directe. Il serait dommage de se priver des possibilités qu’il fait miroiter alors que le Canada est probablement l’un des rares « chanceux » à la loterie climatique… À la condition de se donner les moyens de ses ambitions.

Les Russes, de leur côté, ont amorcé leur ruée vers le Nord depuis un certain temps déjà et possèdent maintenant plusieurs villes au-delà du cercle polaire. La plus connue, Mourmansk, est habitée par près de 300 000 personnes, soit plus que la population des trois territoires canadiens réunis.

En plus des villes, ce pays dispose également de bases militaires, d’un réseau d’infrastructures nordiques tant terrestres que maritimes. Il a même développé de petites centrales nucléaires flottantes pour alimenter ses projets les plus isolés.

Bien que les ambitions canadiennes soient sans doute plus modestes, nous aurions tort de ne pas développer ce territoire, tant les perspectives économiques dans certains secteurs d’activité sont prometteuses. Par exemple, 30 % des réserves de gaz et 13 % des réserves de pétrole seraient en Arctique.

Sur le plan social, un réseau d’infrastructures civiles permettrait une occupation pérenne du territoire en plus de contribuer aux objectifs de défense d’Ottawa. Un projet structurant pourrait garantir la souveraineté canadienne en Arctique en plus de contribuer à notre prospérité.

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