Du camping à Montréal? Oui, dit le Canada, pour 108$ la nuit.

Alors que la Ville de Montréal maintient sa ligne dure et démantèle les abris des personnes en situation d’itinérance, d’autres plus nanties pourront camper à Montréal pour 108 $ la nuit cet été, une offre du gouvernement du Canada qui a bien mauvais goût à la veille du 1er juillet, comme on sait déjà que de nombreux ménages se retrouveront à la rue en pleine crise du logement.
Durant les fins de semaine du 2 et du 23 juillet et celles du 13, du 20 et du 27 août 2022, des personnes pourront s’initier au camping en milieu urbain. L’initiative est fort probablement sans mauvaise intention, mais cela reste contestable. Pourquoi ? Parce qu’il est inconcevable de permettre aux gens de dormir paisiblement dans un espace public pour 108 $ pendant qu’il y a des personnes en situation d’itinérance qui se font malmener et constamment déplacer dans la ville vers des lieux moins désirables et sécuritaires.
Chaque jour, ces personnes se font rappeler qu’elles ne sont pas les bienvenues et qu’elles n’ont nulle part où aller. Elles doivent continuellement vivre dans l’insécurité et l’instabilité, ne sachant pas quand et comment elles seront expulsées de leur petit coin, leur petit « chez-soi ». Puis, sans répit, elles se voient évincées et voient leurs abris démantelés, parfois violemment. Une expérience qui peut être traumatisante pour plusieurs et qui les situe à la case départ en les obligeant à s’en reconstruire un pour se loger. Où, quand, pour combien de temps ?
Marie-Josée Houle, du Bureau du défenseur fédéral du logement, reconnaît dans son premier rapport qu’il y a une crise des droits de la personne pour les gens en situation d’itinérance qui vivent dans des campements. Cependant, les démantèlements inhumains des campements que continue de vivre Montréal donnent un bon exemple de comment les personnes en situation d’itinérance peuvent être traitées, et ce, même si nous savons qu’il y a une crise du logement importante et que la pandémie a exacerbé les difficultés à se loger et à trouver une place en hébergement d’urgence.
Cela dit, le « pas dans ma cour » ou même le « pas dans notre ville » que l’on dit aux personnes qui habitent la rue, la non-tolérance des campements et l’inaction des instances face aux problématiques et risques vécus dans les campements peuvent avoir de graves conséquences sur la sécurité et la santé de ces personnes. Malgré cela, on se permet de dire « si vous avez 108 $ à dépenser par nuit, vous allez pouvoir dormir sur le bord du canal Lachine dans une tente, mais pas la vôtre et pas ailleurs, parce qu’on ne t’en donne pas le droit ».
Nous avons le sentiment qu’il s’agit d’une situation de « deux poids, deux mesures ». C’est-à-dire, d’un côté, les personnes qui peuvent bien se loger et se payer un lot de terre à Montréal pour dormir dehors, et, de l’autre, celles qui n’ont pas les moyens et le droit de vivre quelque part.
Quel message envoie-t-on à la population ? Qu’il faut avoir de l’argent pour dormir dehors !
* Ont aussi cosigné ce texte : Catherine Marcoux (organisatrice communautaire au Réseau d’aide aux personnes seules et itinérantes de Montréal), Caroline Leblanc (candidate au doctorat en santé communautaire, elle mène la recherche FACE concernant la réalité de vie des personnes qui habitent la rue), Laury Bacro (collaboratrice et alliée sur le projet FACE), de même que Carolyne Grimard et Sue-Ann MacDonald (professeures en travail social à l’UdeM).
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