«Des nouvelles de vous»: le pigeon voyageur

Dans ses chroniques, notre collaboratrice Nathalie Plaat en appelle à vos récits. En mai, elle a reçu ceux d’enfants devenus grands (ou pas) et de parents qui ont bien voulu raconter comment les conflits de séparation ont influé sur leur vie. Extrait choisi, du côté de l’espoir.
Le pigeon voyageur est un oiseau docile, qui exécute tout ce qu’on lui demande sans poser de questions. Il vole, d’un lieu à un autre, livrant un message dont il ignore le contenu. Cet oiseau fragile, mais puissant, peut porter l’espoir ou l’amour, la vengeance ou le mépris, mais il n’en sait rien. Il est le messager. Toutefois, il perçoit dans l’œil de celui qui accroche cette missive l’éclat de l’intention et le timbre de voix enflammé.
Tu avais deux ans et demi lorsque j’ai mis la clé sous la porte de ma relation avec ton papa. Je suis partie pour moi, me trouver. À ce moment, je me suis fait la promesse suivante : ne jamais me servir de toi comme d’un pigeon voyageur… Lorsque tu avais besoin d’un nouvel habit de neige et de bottes, tu n’as jamais transporté la facture entre deux adresses.
Ton papa et moi nous étions choisis depuis très longtemps. Nous avons été des amis, des complices, des amoureux, des confidents. Nous avons tellement ri et déconné. Nous avons assez cru en l’autre, en nous, pour choisir de t’avoir, toi. Je l’ai assez aimé pour qu’il devienne ton papa. J’ai vu en lui un être assez digne pour former une famille. J’ai toujours eu un grand respect pour lui, pour nous.
Un jour, la flamme amoureuse s’est éteinte, pour toutes sortes de raisons. Il n’est pas devenu un monstre du jour au lendemain, méritant que je lui déverse tout mon venin. Non, pas à toi, le pigeon voyageur, de faire le trait d’union entre nous.
Il était primordial que nous continuions de former une équipe. Lui et moi avions ce cadeau inestimable : toi. À nous deux, il fallait se retrousser les manches pour collaborer à ton éducation, t’inculquer les valeurs qui nous étaient si chères. […] C’est pourquoi nous nous sommes assis l’un à côté de l’autre lors des rencontres de parents, en septembre, dans une classe déjà bondée. Nous tenions à être présents pour ce qui compte vraiment. Nous avons collaboré tous les deux lorsque, après des recommandations de l’école, nous avons pris la décision de te faire commencer un traitement pour traiter un TDA.
Ton papa et moi avons toujours pu compter l’un sur l’autre. Les reproches, la hargne, la rancœur n’ont jamais fait partie de nos armes pour détruire l’autre. Qui en aurait le plus souffert ? Toi. Je sais que notre relation de parents séparés est enviable. […] Notre plus grande richesse, notre appui dans ce monde d’incertitude est que nous savons que nous sommes liés jusqu’à ta mort ou la nôtre, grâce à toi.
Respect et harmonie
Si tu n’étais pas là, il y a fort longtemps que nos routes se seraient éloignées, sans jamais se recroiser. À mes yeux, il n’est pas et ne sera jamais mon « ex ». Au contraire, il est présent plus que n’importe quel autre conjoint de passage que j’ai pu avoir, puisque rien ne me reliait à eux. Ton papa n’est pas mon ex, il est mon présent, pour toujours, puisque tu y es.
Oui, il y a plusieurs soirées où tu as pleuré, en demandant « pourquoi » et en nommant toutes tes peurs. Au moins, nous étions deux, dans des maisons différentes, pour nous en parler. […] Jamais nous ne t’avons donné un rôle qui n’était pas le tien. Si j’ai une fierté dans ma vie, c’est bien celle d’avoir réussi à te préserver de nos tempêtes. Nous avons réglé nos désaccords lorsque tu dormais et que tu ne pouvais nous entendre.
Alors que tu es retourné sur les bancs de la 2e secondaire, nous avons tenu une rencontre au sommet il y a quelques semaines, papa et sa conjointe, toi et moi. Tous les quatre, assis autour d’une table (il ne manquait qu’une petite bière) à discuter des outils que nous allions te donner pour que ton retour en classe se passe bien et que ton attitude soit plus adéquate dans leur maison. Oui, c’est possible de jaser entre adultes sans s’arracher les cheveux. Trois adultes qui t’aiment et qui veulent ton bonheur sans aucune rancœur pour ce qui est : un couple de parents qui n’a pas poursuivi sa quête ensemble.
Lorsque c’est la fête des Pères, je le remercie pour le soutien qu’il m’apporte et l’amour qu’il t’offre. Il n’y a plus de sentiment amoureux entre nous deux, mais celui de la reconnaissance de l’apport de l’autre. Nous sommes prêts à beaucoup pour te faire évoluer sainement dans une séparation que tu n’as pas choisie. Est-ce qu’il fait comme moi je le ferais ? Non ! Et souvent, ça m’enrage ! Est-ce que je lui tape sur les nerfs parfois ? Sans doute !
J’espère que tu garderas dans ton cœur ce cadeau que nous t’offrons tous les jours, du mieux que nous le pouvons. Vivre dans le respect et l’harmonie.
D’autres voix, d’autres histoires
« J’ai été un territoire sur lequel [mon père] a toujours cherché à planter son drapeau. Jusqu’à mes cinq ans, tout était source de combats, dans une véritable guerre de tranchées, où, tragiquement, j’étais moi-même un no man’s land. J’ai tant de souvenirs désespérés d’engueulades entre mes parents au téléphone… Tant de souvenirs douloureux de ce sentiment tragique et incompréhensible d’avoir à vivre dans un monde fragmenté où il n’était pas possible pour moi d’aimer en continu, puisque, pour mon père, je devais choisir mon camp. » – Louis-Olivier, Montréal
« La difficulté d’entretenir des liens avec soeurs ou frères est bien réelle. Chez nous, nous sommes deux, et force est de constater que nous n’avons pas du tout la même interprétation de ce qui s’est passé et des conséquences liées aux choix effectués par notre mère. Les contacts sont limités, superficiels, sans omettre le fait qu’une fois ostracisée, c’est plutôt difficile pour la personne qui est toujours en contact avec la famille de maintenir des liens avec la personne aliénée. » – É. D.
« Mon ex et moi sommes un exemple de “coparenting” hors du commun après une séparation il y a huit ans. Il est super impliqué et même en bons termes avec mon nouveau conjoint. Beaucoup de gens dans notre entourage nous trouvent particuliers. » – Julie La Rochelle, Saint-Bruno-de-Guigues
« La plus grande bêtise que mes parents aient faite : me demander de choisir avec qui je souhaitais aller vivre… Sans compter les reproches que mon père me faisait, encore 25 ans après, pour avoir choisi de rester vivre avec ma mère — je bénis les différents psys qui m’ont assuré que n’importe quel enfant de 11 ans obligé de choisir resterait avec sa mère dépressive —, ce fameux conflit de loyauté. » – CSH, Paris, France