«Sondageocratie», le nouveau régime politique québécois

Réfléchir à l’avenir du Québec, s’interroger sur les meilleures stratégies pour favoriser un épanouissement collectif et individuel dans l’ensemble des dimensions de la vie. Consulter des citoyens et groupes pour prendre leur pouls. Développer une vision intégrée de l’avenir du Québec et rédiger une plateforme conséquente. Établir quelques idées maîtresses incontournables à implanter dans un premier mandat. Ce processus serait-il devenu une utopie ?
Certains partis, plus militants, reflètent d’abord et avant tout des convictions fortes et peuvent être rébarbatifs à l’exercice du pouvoir. Ils seront alors confrontés au principe de réalité, aux contraintes et à la nécessité de choisir et d’établir des compromis. D’autres partis, davantage orientés vers le pouvoir, vont se magasiner des convictions au gré de l’humeur du moment.
Au cours des 20 dernières années, le Québec a souvent été dirigé par des gouvernements en dissonance cognitive avec les besoins et priorités de la population, l’absence d’un mode de scrutin proportionnel mixte compensatoire exacerbant ce phénomène. S’entêter dans un cul-de-sac par « conviction » engendre plusieurs problèmes, certes. Cependant, j’estime que l’actuel gouvernement caquiste plonge dans la tangente inverse : l’excès de sondage, ou la « sondageocratie », pour dicter ses moindres agissements.
Qu’il s’agisse de l’inflation, de la gestion de la COVID, de la protection du français, des mesures à appliquer pour le système de santé, le clientélisme électoral bat son plein en continu, au gré des sondages. Un seul fil conducteur, en quelques points : la volonté de « modération », de se coller à l’opinion d’une forte pluralité de citoyens et une volonté d’ancrer la perception que le « gouvernement agit », que l’action engendre un effet ou non.
L’entre-deux
Quelles sont les convictions du gouvernement actuel ? Sur quels arguments ont-elles été construites ? Pour la protection du français, voici la ligne de communication : nous sommes modérés, un parti trouve que ça va trop loin, l’autre que ça ne va pas assez loin, donc notre approche est bonne. Aucun argument sur la pérennité du français à long terme ni sur l’influence qu’exerce le cadre politique du Québec sur la situation du français.
Pour la gestion de la COVID, le même non-argument ressort : un parti veut plus de mesures (le PLQ a complètement retourné sa veste depuis quelques mois), un autre en veut moins, donc c’est entre les deux, c’est bon. Pour l’inflation et le pouvoir d’achat, le gouvernement québécois ne parle pas de l’impression des sommes phénoménales d’argent, ce qui relève du fédéral, certes, mais qui découle aussi des mesures sanitaires particulières restrictives appliquées au Québec.
Il ne parle pas non plus de la nécessité d’obtenir des gains de productivité pour contrer l’inflation ni de l’intérêt de réduire ou non le fardeau fiscal des Québécois selon la vision de la fiscalité et du développement économique. On distribue des allocations ponctuelles qui agissent comme un diachylon sur une plaie ouverte.
Le clientélisme électoral bat son plein actuellement et risque fort de devenir un puissant crescendo d’ici l’élection prévue en octobre. Ma principale question, pour le gouvernement et les partis d’opposition : quelle est votre vision du développement du Québec et sur quels principes vous appuyez-vous pour bâtir celle-ci ? Je nous souhaite collectivement que notre avenir soit construit sur une base plus solide que des coups de sonde menés auprès de panels Internet, le Québec mérite mieux.
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