Le caribou, la forêt et le lobby forestier

«La saga du caribou montre, comme pour les autres ressources, que l’exploitation pèse beaucoup plus lourd que la conservation», écrit l'autrice.
Photo: Mircea Costina Getty Images «La saga du caribou montre, comme pour les autres ressources, que l’exploitation pèse beaucoup plus lourd que la conservation», écrit l'autrice.

L’ancien ministre de l’agriculture Pierre Paradis a déjà dit que Monsanto est plus fort que le gouvernement. Le lobby forestier est lui aussi bien plus fort, et cela, depuis bien plus longtemps. Philemon Wright fut le premier, en 1806, à draver un radeau de bois carré de Hull à Québec. Élu député à Québec, il se fit octroyer le Gatineau Privilege de 1832 à 1843.

En 1848, les colons de Gracefield se plaignaient, dans une lettre à l’évêque d’Ottawa, du fait que les compagnies coupaient même le petit bois de six à huit pouces en ne leur laissant pas d’arbres assez gros pour se bâtir. Québec accordait plusieurs années aux compagnies pour couper le bois des lots octroyés aux colons. Ce privilège ne sera limité qu’en 1886, après que le curé de Montcerf, Charles-Alfred-Marie Paradis, a été poursuivi et emprisonné pour avoir autorisé les colons du rang 6 du canton d’Egan à couper le peu de bois laissé par la compagnie Gilmour, qui y bûchait depuis 10 ans.

Son fondateur, Allan Gilmour, un des barons du bois, qui a laissé, à son décès, la plus grosse fortune du Canada, a créé une autre injustice : les clubs privés. Ce privilège, qui n’existe nulle part ailleurs en Amérique, est toujours une cause d’injustice, 175 ans plus tard. Écossais, il s’était fait réserver par Québec le saumon sur la rivière Godbout aux dépens des Montagnais qui y pêchaient depuis 6000 ans. Comme les colons de Gracefield, les Montagnais se sont plaints par lettre en 1845.

Encore aujourd’hui, une signature dans la capitale peut vous obtenir des ressources : bois, minerais, territoires de chasse et pêche, et des subventions pour les exploiter…

En 1995, Pierre Dubois publiait Les vrais maîtres de la forêt québécoise.

 

L’industrie forestière a formé une première association en 1924. En 2003, trois associations fusionnent sous le nom de Conseil de l’industrie forestière du Québec (CIFQ). Si ce lobby est aussi influent, c’est que les politiciens des régions peuvent difficilement s’y opposer, à cause des emplois impliqués. Des élus régionaux ont même créé un lobby pro-industrie, l’Alliance forêt boréale, un nom semblable à celui de l’Action boréale, ce très connu organisme à but non lucratif fondé en 2000 pour promouvoir la préservation des forêts boréales.

La pression des emplois est la même pour les politiciens à Québec et à Ottawa en plus de leur propre volonté d’accélérer l’exploitation de toutes les ressources sans égard aux futures générations. L’ancien premier ministre Philippe Couillard avait bien résumé la position du monde politique en disant qu’aucun emploi ne sera perdu pour sauver un caribou.

Tous les gens des Premières Nations, les cent mille propriétaires privés qui montrent qu’on peut récolter des arbres sans détruire la forêt, les travailleurs forestiers qui dénoncent depuis des générations les mauvaises pratiques, pèsent très peu relativement à des lobbyistes expérimentés, souvent d’ex-politiciens, tels les Chevrette, Lebel, Blackburn, etc.

De nombreuses tentatives de réglementation ont été abandonnées ou ne sont pas appliquées. Québec n’applique pas son propre règlement qui protège toute la régénération de 12 cm jusqu’à 40 cm. Idem pour le martelage, non respecté à 50 %, de 1986 à 2001 selon Z. Majcen, l’initiateur de cette méthode.

Québec et Ottawa causent eux-mêmes beaucoup de dommages à la régénération et au sol lors de la préparation de sol précédant les plantations qui sont subventionnées à 100 %. Près de la moitié des deux cent mille hectares coupés au Québec sont reboisés en monoculture de résineux après avoir été peignés, scarifiés et parfois totalement décapés.

Même si tous les intervenants savent qu’on pourrait produire beaucoup plus de bois près des usines, sans déranger les caribous, personne n’ose dénoncer les méthodes de récolte et de rémunération qui diminuent la possibilité forestière et faunique en détruisant la régénération et en appauvrissant les sols.

La saga du caribou montre, comme pour les autres ressources, que l’exploitation pèse beaucoup plus lourd que la conservation.

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