La critique légitime des religions doit être protégée

Ottawa investira 85 millions sur quatre ans afin de lancer une nouvelle stratégie contre le racisme et un plan national de lutte contre la haine, pour notamment favoriser la pleine participation des minorités religieuses à la société canadienne, ainsi que 5,6 millions sur cinq ans pour appuyer le nouveau représentant spécial chargé de la lutte contre l’islamophobie.
S’ajoute à ces investissements la promesse du premier ministre Justin Trudeau d’adopter une loi pour contrer les discours haineux en ligne, notamment en renforçant le Code criminel. Aucun indice, cependant, d’une intention d’y abroger l’article 319 (3) b qui offre actuellement une protection au discours haineux qui porte préjudice à un groupe identifiable s’il est prononcé de bonne foi et fondé sur un texte religieux. Rappelons que les textes de plusieurs des grandes religions comportent des propos qui dénigrent ou prônent la haine contre les apostats, les athées ou agnostiques, les femmes, les homosexuels, voire certains groupes ethniques ou raciaux. Ainsi, légalement, s’ils se fondent sur un texte religieux, les croyants, contrairement à tous les autres, ont et continuent toujours d’avoir le droit d’exprimer des propos haineux.
Est-ce que ces quelques initiatives visent à faire taire la critique légitime des religions au Canada, comme c’est arrivé au Dr Sherif Emil ? Rappelons que ce chirurgien pédiatre de l’Hôpital de Montréal pour enfants s’est fait accuser d’islamophobie pour avoir dénoncé l’utilisation d’une photo d’une fillette d’à peine cinq-six ans portant le hidjab en couverture du Journal de l’Association médicale canadienne en novembre 2021. Selon lui, l’utilisation de cette photo était malavisée et perpétuait une pratique souvent traumatisante et nuisible. Il faisait valoir que « le respect ne doit pas altérer le fait que le hidjab, le niqab et la burqa sont aussi des instruments d’oppression pour des millions de filles et de femmes dans le monde qui n’ont pas la possibilité de faire un choix ». Le Conseil national des musulmans canadiens et le Conseil consultatif musulman du Canada avaient alors jugé qu’il s’agissait là d’islamophobie, réclamé avec succès des excuses de la part du journal et appelé à des sanctions contre le chirurgien pédiatrique.
La récente campagne #LetUsTalk lancée par la Canadienne Yasmine Mohammed et l’Américaine Masih Alinejad a aussi mis en relief le fait que les femmes occidentales de culture musulmane se font elles-mêmes accuser d’islamophobie lorsqu’elles racontent leurs histoires. Elles disent craindre l’idéologie islamiste ici même, en Occident. Quel sera l’impact de ces nouvelles initiatives fédérales sur la prise de parole de ces personnes ?
Comme l’a si bien fait valoir Richard Malka, l’avocat de Charlie Hebdo, dans sa plaidoirie intitulée Le droit d’emmerder Dieu (Grasset, 2021) : « Renoncer à la libre critique des religions, renoncer aux caricatures de Mahomet, ce serait renoncer à notre histoire […] à l’esprit critique, à la raison, à un monde régi par les lois des hommes plutôt que par celles de Dieu. Ce serait renoncer à enseigner que l’homme est cousin du singe et ne provient pas d’un songe, renoncer aussi à ce que la Terre ne soit pas totalement ronde. Ce serait renoncer à considérer la femme comme l’égale d’un homme. Ce serait renoncer à ce que les homosexuels ne soient pas punis de mort après d’atroces supplices, et je précise que, curieusement, les 72 pays au monde où l’homosexualité reste une abomination sont à peu près les mêmes que ceux où le délit de blasphème continue à exister. »
Selon la Cour européenne des droits de l’homme, qui a régulièrement été appelée à se prononcer sur le sujet : « Ceux qui choisissent d’exercer la liberté de manifester leur religion, qu’ils le fassent en tant que membres d’une majorité ou d’une minorité religieuse, ne peuvent raisonnablement s’attendre à être exemptés de toute critique. Ils doivent tolérer et accepter le déni… Et même la propagation par d’autres de doctrines hostiles à leur foi. »
Espérons qu’Ottawa en tiendra compte et que ses initiatives n’auront pas pour effet de faire taire la critique des religions !
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