Le bon moment pour augmenter la taxe carbone

M. Jean Charest : vous avez fait paraître une lettre d’opinion il y a quelques jours et en la lisant, j’ai ressenti un certain malaise. À vrai dire, j’ai remarqué une sélection discutable des aspects de la taxe carbone soulignés pour appuyer votre argumentaire. Premièrement, le Québec n’est pas assujetti au programme de la taxe carbone fédérale ; nous avons la Bourse du carbone que vous avez mise en place. Deuxièmement — et ce sera le sujet de cet article —, c’est très bien d’informer les Canadiens quant à l’impact qu’a la taxe carbone sur les ménages, mais peut-être faudrait-il leur préciser que plus de 80 % des ménages reçoivent davantage d’argent qu’ils en paient ?
Effectivement, c’est ce qu’a démontré l’étude du Directeur parlementaire du budget. La vérité est que seuls les gros pollueurs ou, plus généralement, les mieux nantis paient plus de taxes carbone qu’ils en reçoivent.
C’est ce qu’on appelle une taxe fiscalement neutre ; elle donne la totalité de ce qu’elle prend, et ce, sans condition. (J’ai cru comprendre que c’était populaire au Québec.) Cet argent ne va donc pas dans les coffres de l’État, mais retourne directement aux familles canadiennes.
Certains pourraient alors se demander pour quelle raison nous taxons le carbone si nous envoyons de l’argent aux familles.
La raison réside dans le choix des individus. Instinctivement, les gens tâchent de maximiser leur bien-être lorsqu’ils vivent une contrainte budgétaire. Si l’essence est plus chère, alors les consommateurs considèrent les autres options. C’est d’ailleurs ce qui explique la hausse fulgurante de la demande pour les véhicules électriques dans les dernières semaines ; les gens cherchent à épargner.
Par conséquent, les gens se tournent vers des modes de transport plus durables tels que le covoiturage, le transport en commun, le vélo ou même la marche. Ils ne le font pas par souci environnemental — enfin oui, un peu —, mais simplement pour maximiser leur bien-être ; c’est ce qui les rend les plus heureux, au vu de ce nouveau régime de prix.
Toutefois, cette option est parfois plus coûteuse. Prenons l’exemple d’un résident de Saint-Hyacinthe, ma ville natale. Le transport en commun est loin d’y être optimal ; la ville manque de densité. Cette dernière est la résultante de politiques publiques déficientes qui subventionnent les routes — et donc l’étalement urbain —, mais ne finance que 50 % du transport en commun. Les villes maximisent également leurs profits et choisissent les routes gratuites qui amènent des revenus récurrents grâce à l’impôt foncier.
Ces politiques d’aménagement rendent particulièrement difficile l’instauration du transport en commun en milieux ruraux, et très peu oseront braver la tempête à vélo, sur des routes inadaptées. Par conséquent, les citoyens de Saint-Hyacinthe — ou plutôt de la majorité des villes canadiennes à faible densité — ne peuvent donc pas se tourner vers le transport en commun. Ils ne peuvent qu’acquérir une voiture électrique ou encore effectuer du covoiturage afin de diminuer leurs factures.
C’est pour cela que le gouvernement canadien renvoie aux familles un dividende carbone : pour leur offrir un plus grand revenu et indemniser la hausse des coûts. Le gouvernement veut s’assurer que la taxe carbone ne soit pas aux frais des plus démunis ; elle est redistributive pour 80 % des ménages. Cette politique n’est donc pas uniquement une bonne politique climatique ; elle diminue les inégalités sociales qui gangrènent notre société.
D’ailleurs, le dividende carbone fonctionne par habitant. Les familles ne sont donc pas désavantagées ; elles se voient offrir davantage de dividendes carbone.
Bref, la taxe carbone fédérale est excellente ; c’est toujours un bon moment de hausser le prix du carbone. À vrai dire, ne pas le faire serait d’un égoïsme assumé envers les générations futures.