L’Ukraine asservie

« L’Ukraine asservie », tel est le titre qui coiffait un article paru en juin 1980 dans le quotidien Le Soleil. À l’époque, jeune pigiste, j’avais réalisé à Paris une entrevue avec le dissident ukrainien Léonide Pliouchtch, porte-parole en Europe de l’Ouest du Groupe ukrainien de surveillance de l’application des accords d’Helsinki.
Ce mathématicien de formation avait été expulsé de l’URSS en 1976 ; « malade d’opinion », il venait de passer quatre années dans les prisons psychiatriques soviétiques. Pliouchtch avait décrit l’année suivant cette expérience carcérale dans son livre autobiographique Dans le carnaval de l’histoire.
L’article publié avait pour principal objectif de faire connaître une nation et les aspirations de son peuple à la liberté. Il était divisé en trois parties : déportation, russification et culture.
La déportation rappelait notamment la lutte de l’armée insurgée d’Ukraine durant la Deuxième Guerre mondiale et son combat contre les nazis et les communistes ; ses derniers partisans n’ont été anéantis qu’au début des années cinquante. Plusieurs centaines de milliers d’Ukrainiens des Carpates seront expédiés en Sibérie pour collaboration avec l’ennemi.
La russification décrivait les nombreuses politiques du pouvoir central soviétique afin d’oblitérer la langue ukrainienne. La langue russe, « langue d’amitié de tous les peuples » devait devenir prédominante par tous les moyens, même les maternelles étaient visées ! Déjà en 1876, le Tsar de toutes les Russies avait, dans un oukase, interdit d’écrire en ukrainien.
Quant à la culture, le seul fait de remettre à l’honneur des coutumes ancestrales, comme la fête d’Ivan Kupalo, la fête du printemps, vous faisait suspecter de nationalisme, et les poursuites ne tardaient pas à s’abattre sur vous. En littérature, les censeurs russes ne respectaient même pas les œuvres de T. H. Chevtchenko (1814-1861), fondateur de la littérature ukrainienne ; tous les passages considérés comme nationalistes étaient expurgés.
Décédé en 2015, Léonide Pliouchtch avait eu la chance d’assister à l’implosion de l’empire soviétique, à l’indépendance de l’Ukraine en 1991 et même au mouvement Maïdan en 2013-2014. Au moment où Poutine nie l’existence même de la nation ukrainienne et l’envahit par ses forces armées, il est pertinent de noter que Pliouchtch ne voyait aucun problème à concilier la défense de la culture ukrainienne avec une référence au poète russe Lermontov (1814-1841) en conclusion de son livre :
« Adieu Russie mal lavée,
Pays d’esclaves, pays de seigneurs,
Adieu à vous, uniformes bleus
Adieu à toi, peuple qui leur est soumis… »