Encadrement des mégaporcheries: le futur, c’est maintenant

Alors que Le Devoir publiait récemment un dossier sur les mégaporcheries, la députée de Champlain et présidente du Conseil du trésor, Mme Sonia LeBel, a été invitée à se prononcer sur le sujet. Un projet de 12 000 porcs est en effet en voie d’être accepté, à Saint-Adelphe, un petit village de sa circonscription. En entrevue à Radio-Canada, elle a reconnu à la fois la légitimité des préoccupations citoyennes et le respect des règles actuelles par le promoteur. Elle a également affirmé qu’elle était prête à se pencher sur une révision de l’encadrement dans le futur. Nous invitons Mme LeBel et son gouvernement à agir dès maintenant pour les raisons suivantes.
Tout d’abord, en tant que juriste et politicienne, Mme LeBel sait bien que les règles en place sont issues d’un rapport de force entre les différents acteurs de la société. Elles ne proviennent pas d’experts neutres. Par exemple, l’affaire Louis Robert nous a révélé le rôle des compagnies de pesticides dans la détermination du cadre légal entourant leur utilisation. M. Robert a également mis de l’avant le fait que les normes actuelles encadrant le phosphore étaient inadaptées. La population a également pris connaissance des conflits d’intérêts dans le monde de l’agriculture avec des agronomes-conseils également vendeurs de produits controversés. Autre exemple, il y a déjà quelques années, une autre enquête journalistique nous apprenait que seulement 50 % des épandages étaient effectués en respectant la distance séparative des cours d’eau. Les règles ne devraient-elles pas être respectées par toutes et tous en tout temps ?
Pourquoi donc Mme LeBel valorise-t-elle des modifications apportées en 2018 par le gouvernement précédent concernant l’augmentation du nombre de porcs permis sans BAPE alors que, comme le soulignait Le Devoir, « une étude menée et publiée dans Nature Geoscience en 2018 montrait que les bassins versants en zone agricole auraient besoin de 1000 à 1500 ans sans apport de phosphore pour recouvrer complètement la santé, à cause de cette accumulation » ? Rappelons que la majorité du phosphore provient du lisier liquide produit par sept millions de porcs majoritairement voués à l’exportation. Ce n’est sans doute pas pour rien que des experts comme Stéphane Campeau, spécialiste des bassins versants et des systèmes aquatiques à l’Université du Québec à Trois-Rivières, en appellent à un nouveau moratoire comme celui adopté en 2003. C’est d’ailleurs après une forte mobilisation citoyenne qu’un tel moratoire a été adopté par l’Assemblée nationale. C’est également pendant cette période de saine réflexion qu’une étude a été produite par le BAPE. Or, les recommandations de ce rapport sont loin d’avoir été appliquées dans leur majorité ! C’étaient pourtant des recommandations d’experts…
À titre d’exemple, mentionnons la proposition visant à évaluer l’impact des projets sur l’ensemble d’un bassin versant ou encore la recommandation insistant sur l’importance de mettre en place un processus de consultation préalablement au certificat d’acceptation du ministère de l’Environnement… plutôt qu’après comme c’est le cas actuellement. D’autres pistes d’actions visant la protection de l’environnement, la vitalité rurale et le vivre-ensemble ont été tablettées bien que plusieurs eussent été reprises dans le rapport Pronovost sur l’avenir de l’agriculture en 2008.
Madame LeBel, nous vous invitons, avec vos collègues de l’Agriculture et de l’Environnement, à suspendre le projet à Saint-Adelphe afin de faire le point sur les règles en place, car les pratiques actuelles, si elles sont légales, sont clairement illégitimes. C’est d’ailleurs le sens de la pétition déposée à l’Assemblée nationale. De plus, on est loin d’un modèle de développement axé sur la consommation locale et l’autonomie alimentaire visant notamment la diminution des émissions de GES indispensable dans le contexte de crise climatique.
* Autres signataires :
Véronique Bégin, fondatrice du Comité de sauvegarde de l’environnement et résidente de Saint-Adelphe;
Gabriel Leblanc, président de l’Union paysanne; Rébecca Pétrin, directrice générale d’Eau Secours;
Denise Proulx, chargée de cours, chercheuse associée, Institut des sciences de l’environnement, UQAM;
Serge Giard, président de Victimes des pesticides du Québec (VPQ)