Les traitements psychédéliques et la santé mentale, entre prudence et optimisme

«Ces interventions ont également leurs limites, et ils laissent encore de nombreuses personnes dans leur souffrance et dans l’incapacité de fonctionner», croient les auteurs.
Photo: Richard Vogel Associated Press «Ces interventions ont également leurs limites, et ils laissent encore de nombreuses personnes dans leur souffrance et dans l’incapacité de fonctionner», croient les auteurs.

La pandémie a représenté un défi pour la santé mentale de la population. Même si la plupart d’entre nous n’ont pas nécessité de traitement pour gérer la frustration et la dépression passagère, certains ont toutefois développé des troubles dépressifs et anxieux formels.

Heureusement, il existe des interventions efficaces : hygiène de vie, sommeil, exercice et méditation pleine conscience en sont des exemples. Dans les cas plus graves, il y a aussi la psychothérapie ainsi que les antidépresseurs, qui ont démontré leur utilité et leur sécurité depuis des décennies. Toutefois, ces interventions ont également leurs limites, et ils laissent encore de nombreuses personnes dans leur souffrance et dans l’incapacité de fonctionner.

En tant que groupe de psychiatres spécialisés en troubles mentaux graves et persistants, nous suivons avec intérêt les plus récents développements des thérapies assistées par les traitements psychédéliques, auxquels nous participons activement. Comme cela a été récemment dans les médias, Santé Canada a décidé d’autoriser l’usage de la psilocybine (champignons magiques) et de la MDMA (ecstasy) en traitement d’urgence pour les patients n’ayant pas répondu aux approches traditionnelles. Cette ouverture du gouvernement fédéral au potentiel thérapeutique de ces substances permettra de continuer à mieux étudier ces molécules dans une myriade de troubles psychiatriques réfractaires. Toutefois, il nous faut rappeler l’importance d’une approche rigoureuse, basée sur des preuves scientifiques solides.

D’un côté, les études récemment parues dans de grandes revues scientifiques sont encourageantes. Il semble que les approches de psychothérapie assistée par la psilocybine (étudiée en dépression majeure et en détresse de fin de vie) et par la MDMA (étudiée dans le syndrome de stress post-traumatique) soient en effet efficaces, les participants ayant connu une amélioration marquée de leur état. En tant que médecins psychiatres et chercheurs, nous sommes donc optimistes et encouragés par l’avènement de ces nouveaux traitements dans notre arsenal thérapeutique. Toutefois, des questions persistent : les résultats mentionnés ci-dessus, obtenus auprès de petits groupes de participants hypersélectionnés, seront-ils confirmés à grande échelle ? Quels sont les risques d’administrer ces substances à l’extérieur d’un contexte de recherche stricte et supervisée ? Ces composés seront-ils utilisés de façon judicieuse et justifiée par tous les médecins ?

Et quelle sera la place de ces nouveaux traitements dans le système de santé québécois ? Les thérapies par traitements psychédéliques demandent un suivi psychologique intensif, et le Québec souffre actuellement d’un problème d’accessibilité à la psychothérapie. Plusieurs experts estiment que la santé mentale est sous-financée par rapport à son poids dans la santé globale de la population, fait aggravé par la pandémie. L’accessibilité aux traitements de pointe doit être soutenue, sans qu’on perde de vue l’importance d’une offre de soins adaptée pour tous.

Il faut aussi rappeler qu’il existe actuellement des traitements spécialisés disponibles pour les cas réfractaires, lorsque les interventions traditionnelles se sont avérées insuffisantes. […]

Il sera certainement souhaitable que les traitements psychédéliques s’ajoutent aux approches existantes pour offrir d’autres options aux interventions actuelles, si la science vient à confirmer leur efficacité. Nous avons déjà pris cette voie au CHUM, où certains de nos patients réfractaires à la SMTr sont traités par kétamine après un processus d’évaluation rigoureux. Depuis l’autorisation de Santé Canada, début janvier, nous travaillons également à offrir des traitements de psilocybine à certains d’entre eux. Pour élargir l’accès à ces traitements, il est crucial d’accélérer l’effort de recherche afin de bien guider leur intégration dans les algorithmes de traitements et de déterminer pour quelles populations cliniques et à quel moment dans le parcours de soins les traitements psychédéliques seront utiles.

Soyons donc optimistes devant les possibilités s’offrant à nous avec ces traitements novateurs, mais restons prudents et rigoureux sur le chemin menant à leur utilisation.

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