Gaston Miron, 25 ans plus tard

«Cofondateur des Éditions de l’Hexagone en 1970, Gaston Miron a, en plus de son travail de poète et d’intellectuel, voulu donner une voix aux poètes d’ici», écrit l'autrice.
Photo: Archives Le Devoir «Cofondateur des Éditions de l’Hexagone en 1970, Gaston Miron a, en plus de son travail de poète et d’intellectuel, voulu donner une voix aux poètes d’ici», écrit l'autrice.

Il y a vingt-cinq ans, le 14 décembre 1996, Gaston Miron nous quittait. Que reste-t-il de l’œuvre de Gaston Miron aujourd’hui ? Que reste-t-il de ce puissant désir de nommer notre malheur collectif, de mettre en mots la nature sociale de notre mal afin de transmettre au peuple québécois l’élan de s’offrir un « avenir engagé, un avenir dégagé ».

L’œuvre du poète : le désir d’un ordre nouveau

Pour rappeler l’importance du poète dans nos sociétés, voici un extrait d’un article de Pierre Maheu publié dans la revue Parti pris en 1968 priant Gaston Miron de publier ses poèmes.

« […] la littérature n’est pas qu’une expressivité, elle est aussi un acte, son action en est une de dévoilement de l’aliénation et de son dépassement ; elle aussi, en créant ses conditions propres, peut créer les conditions de son historicité. Publier devient donc un acte aussi probant que l’action politique. »

Pour Pierre Maheu, l’œuvre de Miron doit être publiée parce qu’elle s’est imposée par sa qualité et qu’« au moment où s’affrontent ici les idéologies et les propagandes, tout ce qui peut donner du poids aux thèses libératrices et décolonisatrices compte ». Selon Maheu, nous sommes « au moment de nous défaire de notre mal, de prendre possession de notre être et du monde ».

L’homme rapaillé : le dévoilement de l’aliénation et son dépassement

L’appel à la mobilisation collective qu’a lancé Pierre Maheu dans Parti pris d’engueuler Miron afin qu’il publie ses poèmes a été entendu. Miron va, non sans efforts, corriger ses vers en souffrance, rapailler ses poèmes et ses textes de prose pour nous offrir le recueil de poésie le plus poignant et le plus lu de l’histoire littéraire québécoise. Véritable catalyseur de l’espérance d’un peuple qui veut s’inventer un pays — une âme —, Miron nous a offert une conscience et les conditions de son historicité.

Quels sont aujourd’hui nos instruments de libération ?

Vingt-cinq ans après la mort de Miron, force est de constater que l’appel de Pierre Maheu n’a pas porté tous les fruits espérés. Alors que nous étions, selon Maheu, « sur le point de nous défaire de notre mal, de prendre possession de notre être et du monde », nous voilà, deux référendums pour l’indépendance plus tard, face à de nouveaux enjeux sur le plan des idéologies et des propagandes. Quant au peuple colonisé se mobilisant pour s’inventer un pays, le voici devant une mise en abyme où les colonisés se sont progressivement retrouvés dans la posture du colonisateur avec, en toile de fond, l’impératif d’une nécessaire solidarité mondiale pour sauver l’humanité face à la crise climatique et à la disparition de la biodiversité.

Qui sont nos Gaston Miron en 2021 ?

Cofondateur des Éditions de l’Hexagone en 1970, Gaston Miron a, en plus de son travail de poète et d’intellectuel, voulu donner une voix aux poètes d’ici. Contribuer à l’édification d’une littérature québécoise. Depuis, ironie du sort, les Éditions de l’Hexagone ont été avalées par Québecor Média. Et qui donc, à Québecor Média, a souligné la mort du poète en ce 14 décembre 2021 ?

Même si la parole libératrice de Gaston Miron retentit encore, le Québec a encore besoin de voix fortes et de poètes capables de sortir de leur condition individuelle, de leur malheur personnel, pour exprimer par la poésie la nature sociale de notre mal. Et surtout pour porter le cri d’un « avenir engagé, d’un avenir dégagé ».

Aujourd’hui, nos Gaston Miron sont des femmes, des Autochtones, des membres des communautés racisées, des écologistes, des mères au front, etc. Leurs voix n’en sont pas moins essentielles. Car pour s’inventer un pays — une âme —, ça prend tout ce monde-là !

À voir en vidéo