Nous sommes des humains qui soignons des humains

En début de session parlementaire, le gouvernement a annoncé son intention de décentraliser le système de santé. Le Regroupement québécois de médecins pour une décentralisation du système de santé (RQMDSS) attend qu’il formule des orientations claires et une vision porteuse pour l’avenir du réseau de santé québécois. Ce que nous vivons actuellement est sans précédent dans l’histoire de notre système de santé : l’accès aux soins s’effrite, la pénurie de personnel s’accentue, des urgences et des services d’obstétrique ferment, les cliniques s’éloignent des patients, et les services de santé en région s’appauvrissent.
Dans un tel contexte, nous suggérons au gouvernement d’être au chevet du système et de ses acteurs pour les écouter.
Les soignants souffrent depuis longtemps de la structure décisionnelle hypercentralisée et éloignée du terrain. Si nous n’y remédions pas rapidement comme société, la situation ne fera qu’empirer, et le contrat social qui lie le gouvernement, les soignants et la population ne pourra être honoré.
L’hypercentralisation, c’est le concept perdant-perdant pour le patient et le soignant :
1. La centralisation transforme le patient en un objet de soins comptable qui devient une statistique définissant la politique de santé de demain. Cette déshumanisation éloigne le soignant de son idéal thérapeutique pour son patient et le fait souffrir (voir La souffrance des soignants, de Jean-Pierre Béland). Le patient, lui, a l’impression d’être un numéro et vit mal son expérience de soins.
2. Si le soignant se sent aliéné au travail et est soumis à une reddition de comptes ne prenant aucunement en considération l’aspect humain qui le lie à son patient et qui contribue pourtant à l’amélioration de la santé globale de ce dernier, il se désengage.
3. Le désengagement des soignants envers leur système public menace la pérennité et la qualité des soins, en particulier pour les populations vulnérables. Cela est très clair aujourd’hui quand on regarde les conséquences des congés de maladie, des fuites vers le privé des soignants et des allongements des délais pour les interventions chirurgicales, les examens et les rendez-vous en spécialité.
Quand on sait que les carrières des soignants reposent en grande partie sur une vocation humaine, cette déshumanisation systémique n’a aucun sens. Il faut revaloriser cette vocation pour l’avenir de nos professions et pour protéger les patients.
Dans cette optique, nous ne pouvons soutenir des initiatives centralisatrices, comme le projet de loi 11 qui inciterait les médecins de famille à aller de plus en plus vite avec leurs patients, pour répondre à des critères quantitatifs sans considération pour la complexité du lien humain. Si le projet de loi est accepté tel quel, l’essence même de leur pratique serait alors remise en cause ; les médecins ne pourront plus par exemple prendre en charge tous les membres d’une même famille puisque le gouvernement décidera quel patient doit être vu ici ou là.
Si le gouvernement désire améliorer l’accès aux services de santé au Québec, ce ne devrait pas être par des mesures accessoires de contrôle et un renforcement de la centralisation de la gestion dans le réseau de la santé. Au contraire, nous l’encourageons à ramener une gouvernance locale dans chaque hôpital, et à déployer, en concertation avec les acteurs du terrain, une première ligne décentralisée et à échelle humaine.
Le RQMDSS est entièrement disposé à participer activement à la recherche de solutions positives afin de réhumaniser le système de santé québécois.
Nous croyons que la décentralisation est la voie incontournable dans laquelle il faut s’engager pour prendre soin des patients et de leurs soignants, et pour ramener l’humain au cœur du processus de soins.
* Autres signataires: Marie-Claude Blouin, Ruth Vander Stelt, Félix Le-Phat-Ho, Michel Desjardins, Daniel Kaud, Sylvain Genest.
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