L’accès à un médecin de famille est devenu une risée au Québec

Lettre adressée à Christian Dubé, ministre de la Santé du Québec.
Comme vous le savez (et comme le soulignait Le Devoir récemment dans sa série d’articles sur la première ligne médicale au Québec), l’accès à des services de base par un médecin de famille est devenu une risée au Québec. Il faut attendre des années pour obtenir un médecin de famille. La quête de ce médecin se fait dans la tension, l’anxiété et le découragement. Les patients sans médecin rencontrent d’insurmontables obstacles pour obtenir un rendez-vous dans des cliniques médicales.
Vous êtes ministre de la Santé depuis peu. Je suis médecin de famille depuis bientôt 25 ans.
Je ne veux pas m’étendre sur les raisons historiques et multifactorielles qui ont mené à une telle crise. Car il s’agit bien d’une crise, n’ayons pas peur des mots. Malheureusement, les patients et les professionnels de la santé font tous les jours face à cette réalité. En plus de constater une discrimination évidente entre les patients avec médecin et ceux sans médecin (ceux que nous rencontrons quotidiennement dans notre clinique sans rendez-vous qui leur est vouée), nous sommes humainement aux prises avec leur désarroi.
[…]
Mon équipe et moi sommes au cœur de l’action. Et nous sommes convaincues que ce n’est pas en ajoutant sans cesse plus de médecins dans les cliniques ou plus de patients pour chaque médecin que le problème d’accès aux soins de première ligne se résoudra. Il est grand temps de penser autrement. Et de s’éloigner la pensée médico-centriste, datant de la vieille école, qui veut que seul le médecin soit roi.
Une partie de la solution est à trouver dans la multidisciplinarité. Chaque professionnel de notre clinique a son rôle à jouer dans l’amélioration de la santé des patients. Ainsi, les interventions thérapeutiques ne doivent pas nécessairement passer par le médecin. L’amélioration de l’autonomie professionnelle des infirmières cliniciennes et l’arrivée des infirmières praticiennes spécialisées en santé physique et mentale sont au cœur du nouveau pivot de soins, sans parler de l’autonomie bonifiée des pharmaciens cliniciens et communautaires. La grande compétence de nos travailleuses sociales et leur connaissance fine des services publics sont un atout majeur dans la qualité et l’efficience de soins.
En résumé, les services à la population devraient se concentrer en services de proximité où toute personne serait bienvenue (qu’elle soit dotée d’un médecin de famille ou non), triée rapidement par une infirmière et dirigée au bon intervenant selon la raison de consultation, avec une évaluation rapide du délai de soins raisonnable pour sa problématique particulière. S’installe alors une pyramide de soins où le médecin n’est plus à la base du service, mais plutôt en haut, afin de donner des soins à ceux — et seulement ceux — qui ont vraiment besoin de ce type d’intervention clinique. Tout le monde, les patients en premier, en sort gagnant.
Tout cela est sans doute facile à écrire noir sur blanc, mais changer les façons de faire dans la sphère médicale, avec le fort corporatisme de cette profession (et ses enjeux financiers), le manque d’expérience collaborative des médecins (même chez les plus jeunes) et un enseignement universitaire et hospitalier qui ne va pas toujours en ce sens est tout un contrat. Sans doute, Monsieur Dubé, vous faudra-t-il ce qu’on appelle du courage politique pour faire avancer les choses et négocier avec tout ce beau monde. N’empêche, il est clair que d’une certaine façon les enjeux logistiques et organisationnels du système de santé sont devenus de véritables freins à la santé, ce qui ne manque pas de ridicule dans une société riche comme la nôtre et dotée des moyens scientifiques dont nous disposons.
[…]
Est-il temps, Monsieur Dubé, de brasser la cage de ce système et d’aller de l’avant ? Avec, peut-être, une commission (mais pas interminable) où les différents professionnels et membres des CIUSSS pourraient témoigner des échecs et des idées retenues afin de rendre ses lettres de noblesse à une première ligne de soins humaine, simple — oui, oui, j’insiste sur ce mot — et efficace ?
Poser la question, c’est déjà y répondre.
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