Muskrat Falls: des positions politiques erronées

Le coût du projet d’abord estimé à 6,2 milliards de dollars dépasse maintenant plus de 13 milliards, rappelle l’auteur. 
Photo: Andrew Vaughan La Presse canadienne Le coût du projet d’abord estimé à 6,2 milliards de dollars dépasse maintenant plus de 13 milliards, rappelle l’auteur. 

Le 28 juillet dernier, le premier ministre Justin Trudeau a annoncé une aide de 5,2 milliards de dollars (subventions et garantie de prêts) à Terre-Neuve-et-Labrador (TNL). Le gouvernement fédéral a ainsi pris en charge une partie du coût du projet hydroélectrique Muskrat Falls.

Mon objectif est de montrer que le premier ministre Trudeau et des représentants de partis politiques ont présenté des positions erronées quant aux effets économiques de cette aide.

 

La construction de cette centrale d’une capacité de 824 mégawatts (MW) et d’une production attendue de 4,9 térawattheures (TWh) a débuté en 2013 et elle viendra à terme cet automne après quelques années de retard. Le projet comprend aussi des lignes sous-marines reliant la centrale à l’île de Terre-Neuve et cette dernière à la Nouvelle-Écosse.

Le coût de l’ensemble du projet, qui fut initialement estimé à 6,2 milliards, dépasse maintenant plus de 13 milliards. Aux fins de comparaison, notons que le projet La Romaine d’Hydro-Québec fut lancé en 2009 et sera achevé en 2022. Ce dernier a une capacité de 1550 MW, une production attendue de 8,0 TWh et un coût total de 8,5 milliards.

L’estimation du coût par kilowattheure (kWh) du projet La Romaine par la société d’État est de 6,4 ¢. Celui de Muskrat Falls, qui avait déjà bénéficié d’une garantie de prêts de la part du gouvernement Harper au montant de 6,3 milliards en 2013, est de 16,1 ¢/kWh. L’écart de coûts entre les deux projets est énorme.

Lorsqu’un projet devient opérationnel, ses coûts sont intégrés à la base tarifaire du service d’électricité, qui prend en charge cette nouvelle production. Dans ce cas-ci, c’est le service d’électricité de TNL qui en est responsable. En 2020, le prix résidentiel moyen avant taxe de l’électricité était de 7,3 ¢/kWh au Québec et de 13,6 ¢/kWh à TNL. Il est estimé que l’intégration du coût de Muskrat Falls dans la base tarifaire doublerait les tarifs de l’électricité dans cette province. C’est le motif principal de l’intervention du gouvernement Trudeau, qui assume une partie du coût et amoindrit ainsi le choc tarifaire pour TNL.

Le premier ministre Trudeau a également présenté la subvention fédérale comme un appui à la production d’électricité renouvelable, qui contribue à réduire les émissions de gaz à effet de serre (GES).

1re position politique erronée : la subvention fédérale pour le projet Muskrat Falls n’entraîne pas la production d’un seul kilowattheure additionnel d’électricité renouvelable.

La centrale Muskrat Falls est sur le point de commencer sa production. La subvention fédérale ne porte que sur le partage des coûts déjà engagés et ne change en rien la conception initiale du projet. En fait, il s’agit d’une subvention à la consommation d’électricité pour TNL, puisque les tarifs d’électricité y seront plus faibles qu’en l’absence de cette subvention. Nous pouvons être désolés pour les Terre-Neuviens qui font face à des tarifs d’électricité très élevés, cependant, une subvention demeure une subvention.

2e position politique erronée : la subvention fédérale pour le projet Muskrat Falls ne constitue pas un appui déloyal à un concurrent d’Hydro-Québec sur les marchés d’exportation.

Des représentants du Bloc québécois, du Parti québécois et du Parti libéral du Québec ont tour à tour critiqué l’octroi fédéral au projet Muskrat Falls qui, à leur avis, constitue un appui à un concurrent d’Hydro-Québec, puisque les lignes sous-marines reliant le Labrador à la Nouvelle-Écosse permettront à la nouvelle électricité d’atteindre le marché de la Nouvelle-Angleterre.

La nouvelle production de la centrale Muskrat Falls se retrouvera potentiellement sur tous les marchés qui lui seront accessibles, avec ou sans la subvention fédérale, puisque les équipements sont déjà en place. Ce qu’elle obtiendra des ventes sur ces marchés dépendra des conditions propres à ces marchés et non des coûts déjà engagés pour réaliser le projet. Sur les marchés d’exportation, un kilowattheure est un kilowattheure, qu’il provienne de Muskrat Falls ou d’Hydro-Québec.

La production de Muskrat Falls est sur le point de débuter et, à cette étape-ci du développement de ce projet, la subvention fédérale annoncée par le premier ministre Trudeau ne joue aucun rôle à l’égard de sa capacité de production et d’exportation. Cette réalité n’a pas été prise en compte par le premier ministre lui-même et par des représentants de partis basés au Québec dans leur évaluation de l’impact économique de cette subvention.

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