Avoir le courage de démissionner du CA de BAnQ

L’annonce de la nomination d’une directrice de BAnQ qui n’a aucune expertise dans le domaine des archives, des bibliothèques et des sciences de l’information, mais qui peut compter sur son expérience politique et sur son réseau, a suscité de nombreuses réactions négatives et même la stupéfaction parmi les experts. Il s’agit là en effet d’une négation claire et nette de la spécificité de l’expertise des archivistes et experts en bibliothéconomie et en sciences de l’information. On a donc, avec raison, dénoncé une décision gouvernementale qui rappelle la pire époque des nominations partisanes des années 1950.
Si le gouvernement ne reconnaît pas l’expertise des personnes qui ont consacré des années à se former pour ensuite travailler à rendre les savoirs inscrits dans les documents d’archives, les livres et autres supports papiers et numériques accessibles à la population, on se demande pourquoi ces personnes, après avoir été ainsi méprisées publiquement, devraient continuer d’offrir leurs conseils et leurs expertises gracieusement à titre de membres du conseil d’administration, le gouvernement venant de montrer qu’il n’a cure de leurs points de vue quand ceux-ci vont à l’encontre de ses objectifs bassement politiques.
De deux choses l’une : ou bien les membres du CA — dont plusieurs sont des spécialistes du secteur des bibliothèques ou représentent des universités qui offrent des formations en archivistique et en bibliothéconomie — ont proposé l’ex-politicienne et donc nié la nécessité de détenir une expertise spécifique pour diriger BAnQ, admettant alors que leur propre savoir est inutile, ou bien ils n’ont pas proposé le nom de cette personne mais leur conseil n’a pas été suivi, ce qui constitue un désaveu. Dans les deux cas, un minimum de respect de soi, mais aussi du savoir que l’on incarne, commande une démission immédiate.
Un exemple tout récent survenu aux États-Unis peut servir de modèle et susciter le courage d’agir à ceux ou celles qui en manquent. La Food and Drug Administration a annoncé récemment qu’elle avait donné le feu vert à un nouveau médicament contre la maladie d’Alzheimer, produit par la firme Biogen. Or, aucun des membres du comité scientifique chargé d’analyser le dossier de ce médicament n’a recommandé qu’il soit approuvé ! Devant un tel mépris envers leur expertise, au moins trois membres ont donné leur démission. L’un d’eux a même écrit un éditorial d’une page dans la prestigieuse revue américaine Science. Bien sûr, la plupart des médias ont préféré parler du médicament et vanter ses mérites annoncés par Biogen plutôt que de se demander ce que ces démissions signifiaient…
Il est de bon ton de nos jours de parler de « respect » à qui mieux mieux. Or, on peut sûrement se demander comment une personne qui se respecte et qui respecte l’expertise qu’elle incarne en occupant une telle position peut se sentir à l’aise de cautionner par son silence des pratiques que, naïvement, on croyait révolues. Surtout que les « experts » en gestion de crise et en communication du gouvernement comptent justement sur ce silence coupable pour faire oublier une décision qui constitue une insulte à l’intelligence et une injure à ceux et celles qui croyaient avoir justement l’expertise et la vision nécessaires pour redonner à cette institution le lustre qu’elle avait encore il n’y a pas si longtemps.