Diaboliser afin de se disculper
![Après la découverte des sépultures anonymes de 215 enfants sur le terrain d’un ancien pensionnat à Kamloops, en Colombie-Britannique, le premier ministre Justin Trudeau affirme que comme catholique, il est profondément déçu, et il réitère sa demande au pape François d’offrir les excuses officielles de l’Église […].](https://media1.ledevoir.com/images_galerie/nwd_947163_760575/image.jpg)
Depuis plusieurs semaines, on présente les Oblats et les autres communautés religieuses qui s’occupaient des pensionnats autochtones comme des agresseurs d’enfants et des tortionnaires. On enlevait de force des enfants de 6 à 15 ans à leur famille, on les entassait dans des dortoirs en ne prenant même pas la peine d’isoler les enfants souffrant de tuberculose, on les privait souvent d’une nourriture adéquate, on leur défendait de parler leur langue, on les soumettait à un endoctrinement catholique, on les enterrait parfois dans des fosses communes sans même en informer les parents, etc.
Après la découverte des sépultures anonymes de 215 enfants sur le terrain d’un ancien pensionnat à Kamloops, en Colombie-Britannique, le premier ministre Justin Trudeau affirme que comme catholique, il est profondément déçu, et il réitère sa demande au pape François d’offrir les excuses officielles de l’Église […].
Se pourrait-il que ce grand vent de colère et de condamnation qui s’élève présentement contre les communautés religieuses représente une sorte de déculpabilisation collective ? Que, comme société québécoise et canadienne, nous soyons en train de verser rapidement dans la diabolisation des uns afin de nous disculper et de nous donner bonne conscience ? Cela, en transformant en monstre ceux et celles qui, dans le passé, non seulement représentaient fidèlement qui nous étions, mais étaient même, par leur esprit de dévouement et sacrifice, nos héros ?
Du début janvier à la fin juin 1969, j’ai enseigné, comme laïque, dans le pensionnat autochtone de Fort Albany, en Ontario. Il y avait des prêtres et frères oblats, des sœurs grises, des infirmières et institutrices laïques. À 26 ans et détenteur de plusieurs diplômes universitaires, je portais encore, tout à fait inconsciemment, un chapeau colonial, et ne voyais toujours rien de mal dans ce pensionnat.
Certes, j’étais révolté qu’un des professeurs laïques manque grossièrement de respect envers les élèves en se permettant de lire secrètement le journal confidentiel que je les encourageais à écrire, mais je n’ai jamais été témoin d’abus similaires à ceux qui font présentement la manchette. Au contraire, je voyais chez l’ensemble du personnel amour, affection et dévouement. Et quitter mes élèves à la fin juin, chez qui j’avais découvert poètes et sculpteurs impressionnants, m’était fort pénible : je les aimais profondément et, je le sentais, ils m’aimaient profondément aussi.
Chapeau colonial
Découvrir aujourd’hui les abus et atrocités qui se produisaient dans ces pensionnats ; prendre conscience de l’aspect horrible d’enlever, souvent de force, les enfants provenant de diverses communautés et cultures, et de les entasser, généralement plus d’une centaine à la fois, dans un même pensionnat ; comprendre que le système de pensionnats faisait partie du projet colonial global et représentait un effort pour faire disparaître culture et religion autochtones et les remplacer par les nôtres : tout cela ne m’autorise pas, aujourd’hui et dans le contexte contemporain, à prendre la hache et à couper la tête des individus des communautés religieuses qui n’étaient, au fond, que le reflet, souvent héroïque, de qui j’étais moi-même comme Québécois et Canadien !
Je suis catholique et j’ai honte, affirme Justin Trudeau. Mais qui proclamait la Loi sur les Indiens ? Qui allait enlever les enfants de force pour les transporter aux pensionnats soumis aux normes et règlements génocidaires du gouvernement, n’est-ce pas la GRC ?
Qui assumait les coûts, en nourriture et infrastructure, des pensionnats et faisait en sorte qu’il soit impossible d’isoler les enfants souffrant de tuberculose ou que parfois leur régime alimentaire était insuffisant ? Qui payait les salaires des professeurs ? Qui décidait que les parents autochtones perdaient la responsabilité légale de leurs enfants, celle-ci allant à la direction du pensionnat ? N’est-ce pas le gouvernement fédéral ?
Même si je suis tout à fait d’accord que la hiérarchie canadienne et le pape François devraient offrir des excuses publiques et officielles, ce que les Oblats de Marie-Immaculée ont déjà fait, je crois que la diabolisation actuelle des communautés religieuses, catholiques et protestantes, représente une forme de déculpabilisation collective.
Le chapeau colonial nous reflète. Nous devrions avouer, collectivement, l’avoir porté et tenter, avec nos frères et nos sœurs autochtones, et aussi pénible et difficile que ce soit, de réparer les pots cassés.