Au-delà de la peur du variant indien

«Ce qu’on ne nous dit pas, c’est que cette population pauvre de l’Inde est complètement laissée pour compte, alors que les vaccins indiens sont exportés dans plus de 80 pays partout sur la planète», écrit l'autrice.
Photo: Sajjad Hussain Agence France-Presse «Ce qu’on ne nous dit pas, c’est que cette population pauvre de l’Inde est complètement laissée pour compte, alors que les vaccins indiens sont exportés dans plus de 80 pays partout sur la planète», écrit l'autrice.

Le 22 avril 2021 au matin, on voyait paraître dans Le Journal de Montréal et Le Journal de Québec une couverture s’interrogeant sur la poursuite des liens entre le Canada et l’Inde en raison de l’arrivée d’un variant indien de COVID-19. En plus d’alimenter les propos xénophobes à l’égard des communautés asiatiques en général et de la communauté indienne en particulier, cette couverture est l’illustration même de ce qu’on ne nous dit pas, de ce qu’on ne sait pas ou bien de ce qu’on oublie lorsque vient le temps de parler de l’Inde au Québec.

Ce qu’on ne sait pas, c’est que l’Inde est le plus grand fabricant de vaccins au monde et que, sans l’Inde, nous serions incapables de produire assez de vaccins pour la population mondiale. En plus de fournir l’Occident, l’Inde est le principal pays exportateur de vaccins pour les pays d’Afrique, d’Asie et d’Amérique du Sud, procurant plus de 60 % de ceux-ci.

Ce qu’on oublie, c’est que la population indienne s’élève à 1,37 milliard d’habitants, soit un septième de la population mondiale, et qu’environ la moitié, soit 600 millions de personnes, vivent dans une extrême pauvreté. Cela signifie que, pour ces personnes, des mesures comme le confinement sont insensées et même meurtrières : exiger le confinement de personnes travaillant à des centaines de kilomètres de leur famille et ne possédant pas automatiquement des maisons fermées est irréaliste.

Ce qu’on ne nous dit pas, c’est que cette population pauvre de l’Inde est complètement laissée pour compte, alors que les vaccins indiens sont exportés dans plus de 80 pays partout sur la planète. Bien que le gouvernement offre gratuitement la vaccination et que les hôpitaux privés facturent quant à eux environ 250 roupies indiennes par dose (environ 4,10 $CA), les populations les plus pauvres ne sont généralement même pas au courant des possibilités qu’elles ont pour se faire vacciner ni à quel endroit elles peuvent aller.

Les divisions de classe qui marquent le sous-continent indien se répercutent ainsi directement dans l’accès à la vaccination. Des spécialistes indiens mentionnent que 90 % des bénéficiaires appartiennent à des classes aisées, et font partie de l’élite indienne. Et une grande partie des personnes âgées provenant de communautés pauvres ne sont toujours pas vaccinées.

Pendant ce temps, des personnes indiennes de classes aisées publient des photos sur les réseaux sociaux, afin de montrer qu’elles sont d’heureuses bénéficiaires du vaccin. Et les Canadiens, les États-Uniens, les Britanniques font la même chose.

Plusieurs raisons expliquent cette problématique. D’une part, l’information ne semble être transmise qu’aux personnes appartenant à des classes plus aisées. D’autre part, l’accès aux technologies constitue une énorme barrière : pour s’inscrire à la vaccination, la population indienne doit s’inscrire sur une plate-forme en ligne. Il s’agit d’une déconnexion complète de la réalité vécue. Le gouvernement incite même fortement à ce que cette méthode continue d’être utilisée, sachant très bien que cela ne profite qu’à une tranche privilégiée de la population.

Ce qu’on ne sait pas, ce qu’on oublie ou ce qu’on ne nous dit pas se traduit donc par des publications comme les plus récentes au Québec, qui ne font qu’exacerber les préjugés et participer à une désolidarisation internationale, alors que la solidarité devrait pourtant être cruciale en ce moment. Au lieu de ne penser qu’à soi, il serait temps de s’informer davantage sur les réalités vécues par d’autres personnes, au-delà des frontières nationales.

L’Inde a tout de même réussi à faire preuve de solidarité en procurant des vaccins à l’ensemble de la planète.

Les journaux regorgent d’articles comme « l’Inde, la pharmacie du monde » ou bien « l’Inde à la rescousse des pays pauvres ». Or, lorsque vient le temps de montrer de l’empathie, de la compassion et de la solidarité envers la population qui nous permet d’avoir une bribe d’espoir, la seule chose qu’on entend, c’est qu’il ne faut plus entretenir de liens avec ce pays, que les personnes indiennes nous posent problème en raison de l’arrivée d’un nouveau variant. On oublie vite.

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