Quand liberté d’expression devient une oppression

«La liberté d’expression est absolument précieuse. Mais comme toute liberté, elle s’arrête là où commence celle des autres», fait valoir l'auteur.
 
Photo: iStock «La liberté d’expression est absolument précieuse. Mais comme toute liberté, elle s’arrête là où commence celle des autres», fait valoir l'auteur.
 

Je prends la plume aujourd’hui pour soutenir la campagne de sensibilisation « Liberté d’oppression – libérer la parole, pas la haine » qui vise à lutter contre les propos haineux, l’intimidation et la désinformation dans certains médias au Québec. Je suis honoré de pouvoir joindre ma voix à celles de Catherine Dorion, de Joël Lightbound et des autres personnalités publiques qui ont signé la déclaration, et je veux aujourd’hui apporter mon grain de sel d’ancien animateur trash à la réflexion collective que nous avons grand besoin d’avoir sur le sujet.

La première fois que j’ai exercé ma liberté d’expression médiatique, c’était pour dénoncer « haut et fort » la députée Pierrette Cardinal dans la tribune aux lecteurs de l’hebdo L’Information régionale de Châteauguay. C’était en 1985, et j’avais 16 ans. Innocent et ignorant, je dénonçais en quatre paragraphes bien tassés et intenses l’unilinguisme anglais sur le territoire des Premières Nations de Kahnawake. Je baignais à l’époque dans un univers d’ignorance et de racisme. Je m’étais exprimé. À tort et à travers.

Longtemps j’ai chanté dans cette sinistre chorale aux quarts de ton douteux et aux dissonances faciles ornées de mauvais goût et aux fioritures parfois destructrices. Pendant mes années comme « commentateux » à la télé et à la radio, je me suis enfoncé dans le trash et l’opinion instantanée. La découverte du pouvoir et de l’influence que j’avais m’a monté à la tête. C’était malsain, ça m’a amené dans une spirale de violence verbale qui nuisait au débat. Tous les jours, c’était dans le négatif.

Aujourd’hui, pour plusieurs raisons très personnelles, je suis ailleurs. Heureusement.

Plusieurs voudraient que cette liberté d’expression qu’on exerce derrière un micro, un clavier ou une caméra soit absolue. « Le citoyen pourra lui-même construire sa propre opinion », nous dit-on. Mais qu’est-ce qu’une opinion sans connaissances ni explications ? Que vaut l’opinion pure quand celle-ci réside dans la haine, le mépris et les raisonnements faciles ? Pourquoi se donner la peine d’exprimer une opinion derrière un micro si les prémisses du débat sont biaisées ? Combien de « détenteurs d’opinions » pourraient passer le test de connaissance du sujet qu’ils démolissent avec désinvolture ? Il n’existe malheureusement que peu de remparts contre cette médiocrité ambiante. Dieu merci, le réseau public existe au Canada et aux États-Unis.

La liberté d’expression sur des tribunes médiatiques est-elle absolue ? Je réponds que cette liberté vient avec une responsabilité, et que lorsqu’elle n’est pas utilisée de manière responsable, il y a un vrai prix à payer. Ce prix est celui d’une vie qu’on aura détruite au passage. Celui de voir s’installer la zizanie entre différents groupes sociaux plutôt que le dialogue et la compréhension. Celui de faire passer l’« infotainment », les commentateux et la confusion des genres devant le journalisme et les professionnels de l’information. Celui de faire passer le fric, les clics et les vedettes avant la démocratie.

J’ai peur pour mes enfants. Mais j’ai confiance que la génération qui se lève saura faire mieux que nous.

La liberté d’expression est absolument précieuse. Mais comme toute liberté, elle s’arrête là où commence celle des autres.

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