Les Expos au temps de la pandémie

Il y a une vingtaine d’années, l’ancien commissaire du Baseball majeur, Bud Selig, avait comparé la saga des Expos à Gone with the Wind en priant pour qu’elle finisse après des années de tergiversation. L’ineffable Selig avait certes une perception très négative de Montréal, mais il n’en reste pas moins que la comparaison n’était pas si saugrenue. Une saga, nous dit le Larousse, « est une épopée familiale quasi légendaire se déroulant sur plusieurs générations ».
La grande famille québécoise vit depuis plus de 50 ans la saga des Expos qui, même s’ils nous ont quittés depuis l’époque de Selig, continuent toujours de faire couler beaucoup d’encre. Il a d’ailleurs suffi de l’enregistrement au registre des lobbyistes du Québec du groupe de Stephen Bronfman, qui entretient le projet de ramener une équipe de baseball à Montréal, pour générer dans les derniers jours une puissante vague de commentaires médiatiques. Cet enregistrement témoignerait, a-t-on appris, de la volonté du groupe de demander l’aide gouvernementale de Québec pour construire un tout nouveau stade dans le centre-ville. Car, comme on le sait, cette très curieuse idée de garde partagée avec Tampa Bay (une ville située à plus de 2000 kilomètres de Montréal…) qu’il propose est liée à la construction d’une telle infrastructure dont on estime le coût à au moins 500 millions de dollars.
Dans un monde idéal, celui dont on rêve parfois en temps de pandémie et de crise climatique, un monde où régnerait une certaine simplicité volontaire, on tendrait la main à Tampa Bay avec un grand sourire : « Pas de problème, venez quand vous voulez, nous avons le Stade olympique qui ne sert à rien et qui vous attend à un coût extrêmement avantageux. » Mais voilà, les hommes de balle en ces terres d’Amérique ne sont pas exactement réputés pour la simplicité volontaire. Leur modus vivendi est de voir toujours plus grand et, si possible, avec l’argent des autres. C’est ainsi que pratiquement aucun stade professionnel sur le continent ne s’est construit au cours des dernières décennies sans un important financement public. Puis, à propos de voir grand, Stephen Bronfman, futur parent à la garde partagée de notre futur enfant florido-québécois, n’a-t-il pas un très beau projet de développement immobilier dans le collimateur autour du futur stade ? On ne voit pas où le fils de Charles trouverait autrement sa motivation pour tenter de nous vendre un des projets les plus grotesques de l’histoire du sport professionnel, tous sports confondus.
Mais ce qui étonne le plus dans ce nouvel épisode de la saga des Expos, ce n’est pas seulement l’avidité des milliardaires-propriétaires de clubs ou qui aspirent à l’être. C’est aussi la réponse du premier ministre Legault. Il a fait semblant de vouloir s’y intéresser en évoquant des « bénéfices supérieurs aux coûts », autrement dit les fameuses retombées économiques.
Comptable de profession, notre premier ministre devrait pourtant savoir que le seul événement sportif vraiment rentable au Canada est (ou était dans le monde pré-COVID…) celui du Grand Prix de Formule 1, parce que c’est le seul à attirer suffisamment d’argent extérieur. Le reste de ces pseudo-retombées du sport professionnel n’est rien d’autre qu’un brassage du même budget loisir destiné à être dépensé ici dans des entreprises de divertissement ou à d’autres fins, mais qui, avec un club de baseball floridien, prendra le chemin de l’étranger, où vivent et vivront toujours, même après l’étrange fusion Montréal-Tampa, tous les joueurs des Rays. Enfin, François Legault devrait avoir à l’esprit que nous avons déjà deux beaux éléphants blancs au Québec : le Stade olympique, dont j’ai déjà parlé, et le Centre Vidéotron de Québec. Nous en faut-il vraiment un troisième ?