La pauvreté télévisuelle

Si la télévision est le miroir d’une société, la nôtre ne se porte pas très bien. Même qu’on se désole sérieusement d’un constant nivellement vers le bas.
Si comme moi, vous n’en avez rien à faire ni à cirer des émissions de téléréalité, des vedettes et des « célébrités », de leurs interminables recettes, de leurs souvenirs d’enfance, de leurs squelettes dans le placard, et tout le tralala, vous restez alors sur votre faim. Oui, on a faim. Faim d’intellectuels, d’experts, de gens capables de penser, de critiquer, de questionner.
On a besoin d’être nourris à l’information, d’être alimentés d’entrevues de fond, de débats, de hot seats, de réflexions, d’analyses, de décorticage du monde entier comme de la société québécoise, en somme, de contenu télévisuel substantiel pour l’esprit.
Car si certains chroniqueurs et téléspectateurs ont le cerveau ramolli ces temps-ci, en raison de cette pandémie — et sans doute pas mal aussi par tous ces « beaux programmes » insignifiants qu’ils regardent à la télé —, d’autres au contraire croient que ce ralentissement général des activités humaines offre une belle occasion de penser, une merveilleuse possibilité de réfléchir, entre autres, à notre avenir. Mais où sont les intellectuels à la télévision québécoise ? A-t-on encore le droit de penser, de réfléchir tout haut, de débattre à la télé ? Ou faut-il toujours s’amuser ?
Car c’est manifestement le règne du divertissement à la télévision québécoise. Il faut sans cesse divertir, rire, faire rire, s’amuser, rester dans le léger, la détente et le réconfort, partout, constamment et à tout prix. Au prix de la pensée profonde, du raisonnement, de la réflexion, oui.
On l’observe depuis longtemps, les humoristes sont partout. Ce phénomène n’est pas nouveau, me direz-vous. Or peut-on AUSSI avoir des débats animés, des entrevues de fond menées par des femmes et des hommes d’expérience, capables d’aplomb, de questions incisives et de mordant ?
Vous n’êtes pas tannés, vous autres, de ces innombrables vedettes sur tous les plateaux, servies à toutes les sauces ?
D’autant plus que si vous êtes pauvre, financièrement maintenant, alors là vous n’avez pas cinquante-six mille choix à votre portée sur votre petit écran, ni même le câble, ni aucun abonnement à votre disposition, soit dit en passant. Vous comptez forcément sur la télé publique. Mais déjà, les ingrédients de base pour penser et réfléchir ne sont pas accessibles à tous, à commencer par l’information.
Comment se fait-il que Radio-Canada n’offre pas son réseau d’information en continu, RDI, gratuitement ? N’est-ce pas le mandat du télédiffuseur public, d’informer adéquatement la population, les pauvres comme les mieux nantis ? On est en pleine pandémie ! On traverse présentement une crise sanitaire sans précédent, flanquée d’une crise économique, sans oublier la crise climatique dont plus personne ne parle vraiment, mais ces informations de base en continu ne sont pas disponibles pour les pauvres… pardon, je veux dire pour les « personnes en situation de précarité et de pauvreté économique ». « Quoi qu’il arrive », oui, sauf pour les pauvres.
Bref, on a faim. Faim de grands changements, à la télé comme dans notre société, de nourriture aussi, tant pour le corps que pour l’esprit.
Cette pauvreté télévisuelle finira par tous nous ramollir le cerveau, au lieu de nous élever intellectuellement vers le haut.