Il ne faut pas faire souffrir davantage les personnes itinérantes

Lettre adressée au premier ministre du Québec, François Legault
Monsieur le Premier Ministre, à titre de président d’un regroupement national représentant plus de 300 organismes communautaires en itinérance au Québec, j’ai été particulièrement bouleversé par la facilité avec laquelle vous balayez l’option d’une exemption au couvre-feu pour les personnes en situation d’itinérance.
Voilà déjà deux semaines que les organismes communautaires de toutes les régions tentent de convaincre votre gouvernement des conséquences potentiellement désastreuses de cette nouvelle mesure sur les personnes en situation d’itinérance. Parmi elles, rappelons les risques plus élevés de surdoses et la crainte de circuler à l’extérieur pour utiliser des ressources d’aide pourtant vitales. Quant à la judiciarisation et au profilage social, ils ne disparaissent malheureusement pas du jour au lendemain à la suite de l’application d’un couvre-feu.
D’ailleurs, ces problèmes ontgravement effrité le lien de confiance des personnes à la rue envers les policiers, les incitant à se cacher, ce qui les expose à davantage de dangers. C’est sans parler de la pression supplémentaire qu’entraîne cette mesure sur des organismes communautaires qui étaient déjà à bout de souffle avant la pandémie.
Pour justifier votre refus d’exempter les personnes en situation d’itinérance, vous évoquez le risque que n’importe quel citoyen puisse se faire passer pour itinérant afin de circuler après 20 h. Permettez-moi, Monsieur le Premier Ministre, de vous assurer qu’une telle situation ne surviendrait point, sinon pas plus fréquemment que celle où un citoyen enfreint le couvre-feu sous prétexte qu’il doit se rendre à la pharmacie pour se procurer des produits hygiéniques. Dans tous les cas, ce risque est certainement moins important que les dangers qu’apporte le couvre-feu pour les personnes en situation d’itinérance.
Vous soutenez également votre refus en réaffirmant votre confiance envers le jugement des policiers, insistant sur le fait qu’ils sont habitués à travailler auprès des personnes en situation d’itinérance. Si tel est le cas, ne seraient-ils donc pas en mesure de reconnaître une personne qui prétend faussement être itinérante pour profiter de l’exemption ?
Vous soulevez la difficulté de définir ce qu’est véritablement une personne en situation d’itinérance. Or, Monsieur le Premier Ministre, je me dois de vous rappeler que le Québec s’est doté en 2014 d’une Politique nationale de lutte contre l’itinérance dans laquelle se trouve une définition de l’itinérance. De plus, votre gouvernement a la possibilité compter sur l’expertise d’un milieu communautaire qui possède une connaissance extraordinaire du phénomène et des personnes qui le vivent. Seulement, vous devez accepter de l’écouter.
Monsieur le Premier Ministre, nous devons faire preuve d’humilité : vivre dans la rue et s’en sortir représente un défi que ni vous ni moi, qui n’en avons pas fait l’expérience, ne pouvons véritablement nous imaginer, particulièrement en contexte de pandémie. Par solidarité pour ces personnes qui, chaque jour, tentent d’améliorer leur situation, il faut impérativement éviter de les faire souffrir davantage. Les droits fondamentaux de ces personnes doivent être respectés.
Au Québec, il semble y avoir consensus, vous devez accorder une exemption aux personnes en situation d’itinérance, et le milieu communautaire peut vous y aider.