Comment avoir foi en notre système judiciaire?

«À mon sens, c’est d’une réforme majeure que l’on a besoin, et on en a besoin maintenant», écrit l'autrice.
Photo: Paul Chiasson La Presse canadienne «À mon sens, c’est d’une réforme majeure que l’on a besoin, et on en a besoin maintenant», écrit l'autrice.

« Je suis un autre exemple des limites du système de justice en matière de violences sexuelles […] L’encourageant vent de changement que l’on ressent dans notre société ne se traduit malheureusement pas encore dans le parcours d’une victime dans le système de justice », mentionne Annick Charette, la victime de Rozon, à la suite du jugement. En effet, bien que la juge Hébert ait jugé son témoignage largement plus crédible que celui de son agresseur, celui-ci a tout de même ultimement été acquitté, en vertu du doute raisonnable.

Comprenez-moi bien : le doute raisonnable est essentiel à notre système de justice. Il s’agit d’une protection importante, car il vaut mieux acquitter un coupable qu’accuser un innocent. Cependant, comment avoir foi en notre système, alors qu’un agresseur, blanchi précédemment, contre qui une kyrielle de plaintes ont été déposées pour ensuite être rejetées, et dont les comportements troublants ont été dénoncés de multiples fois, est libéré malgré le peu de crédibilité accordé à son témoignage ? L’acquittement de Rozon mine ainsi une fois de plus la confiance des victimes envers le système.

J’ai moi-même été victime d’agression sexuelle, comme une femme sur trois et un homme sur six, et je sais pourtant que je ne porterai jamais plainte. Pourquoi ? Parce que les statistiques sont excessivement troublantes : sur les 5 % de crimes sexuels qui sont rapportés à la police, ce ne sont que 3 plaintes sur 1000 qui entraînent une condamnation. Parce que les procédures sont très longues et douloureuses, parce qu’elles ravivent des blessures qui ne seront jamais vraiment guéries. Parce que si peu de plaintes passent le cap du DPCP, faute de preuves. Parce que, sincèrement, j’ai peur que cela entache ma réputation, ma carrière, ma crédibilité. Parce que, personnellement, je n’ai même pas envie que mon agresseur finisse en prison — j’aimerais seulement qu’il prenne conscience de ses actes afin qu’aucune autre femme n’ait à vivre la détresse que j’ai vécue à ce moment-là. À regarder les statistiques, il faut croire que je ne suis pas la seule à penser ainsi. Celles-ci mettent en effet en évidence les failles de notre système. Peut-on réellement, dans ce contexte, en vouloir aux victimes qui passent par les réseaux sociaux pour dénoncer ce qu’elles ont vécu ?

En 2020, le ministère de la Justice annonçait que les juges recevraient des formations en matière d’agression sexuelle. Je crois toutefois que l’on a besoin de plus que ça. On sait que la preuve d’une agression sexuelle est très délicate à établir ; que nombre de plaintes viennent des années après les actes reprochés ; et que, bien souvent, la seule preuve, c’est la version de la victime contre celle de l’accusé. On sait aussi que le problème ne concerne pas uniquement le système de justice : les services de police aussi, même si leurs budgets augmentent chaque année, manquent clairement des ressources et des connaissances nécessaires sur les plans social et psychologique pour accompagner les victimes lorsque celles-ci déposent leur plainte.

À mon sens, c’est d’une réforme majeure que l’on a besoin, et on en a besoin maintenant. Je crois — et je ne suis pas la seule à le croire, selon le rapport du Comité d’experts sur l’accompagnement des victimes d’agressions sexuelles et de violence conjugale déposé cette semaine — que la création d’un tribunal spécialisé serait la solution, avec des juges spécialisés, plus sensibles à la réalité des victimes, à ce type de cas. Ce tribunal devrait offrir de nombreux services adaptés aux besoins des victimes. En plus des recours criminels, il offrirait la possibilité d’une justice réparatrice, plutôt que punitive. La victime, passant ainsi plutôt par un recours civil, pourrait expliquer ce qu’elle a vécu afin de permettre à l’agresseur de prendre conscience de son acte. Tout au long du processus, les victimes pourraient donc bénéficier de l’aide psychologique nécessaire et être accompagnées par différents intervenants. Pour elles, obtenir justice ne serait pas plus lourd et souffrant que l’acte dont elles cherchent à obtenir réparation. Avec ce tribunal spécialisé, on admettrait que, bien que le fardeau de la preuve demeure le même, la preuve en matière d’agression est différente. Le processus serait également moins long, puisque seuls ces types de cas y seraient traités, permettant ainsi plus rapidement aux victimes de passer à autre chose.

Aujourd’hui était un triste jour pour les victimes d’agression sexuelle. J’ose espérer que nous en connaîtrons de plus beaux.

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