Les dangers du titre réservé en travail social

Au Québec, le travail social a évolué d’une posture charitable misant principalement sur l’abnégation, le dévouement et la vocation vers la reconnaissance d’un statut encadré légalement et sur le plan déontologique par un ordre professionnel.
Plus récemment, le remplacement de l’appellation « service social » par « travail social » pour nommer les programmes offerts dans les différentes universités témoigne entre autres de ce changement de perception, qui a engendré la reconnaissance des particularités de la profession et clarifié ses champs de pratique.
Toutefois, au fil de mes études, j’ai constaté un glissement dans le sens accordé au titre de travailleur social. Effectivement, ce dernier, au lieu d’être compris comme un privilège permettant de porter une vision plus humaine du monde et d’évoluer auprès des franges marginalisées de la société afin d’écouter, de chercher à comprendre et surtout d’agir comme porte-voix, tend au contraire à cimenter un rapport à l’autre imprégné de paternalisme, se voulant bienveillant en façade, mais qui cache plutôt une dynamique insidieuse de domination au sein de laquelle l’expertise associée au statut est utilisée comme outil de contrôle social.
Sur le plan des apprentissages théoriques, cette vision se manifeste notamment par la grande place laissée aux exigences technocratiques et à l’élaboration d’outils cliniques comme l’évaluation du fonctionnement social et la rédaction du plan d’intervention. Loin de moi l’idée de minimiser la pertinence de ces compétences, mais je crois qu’elles ne devraient pas oblitérer l’importance accordée à la compréhension globale des structures sociales, des inégalités socio-économiques et des mécanismes d’oppression. À mon sens, c’est en approfondissant ces aspects qu’il est possible de saisir la réelle portée émancipatrice du travail social.
Sur le plan de l’application pratique, cette même perspective tend à enfermer la discipline dans une structure hiérarchique priorisant la pratique en milieu institutionnel et dévalorisant le milieu communautaire. Le savoir-faire se voit alors considéré comme étant supérieur au savoir-être. À titre d’exemple, j’ai souvent entendu des collègues de classe mépriser les stages au sein d’organismes communautaires sous prétexte qu’ils ou elles n’étudiaient pas en travail social pour couper des carottes ou laver la vaisselle.
Pourtant, l’apprentissage de la capacité à tisser des liens dans n’importe quel contexte est fondamental et ne se développe que par le contact avec d’autres êtres humains, et ce, même dans des situations qui semblent anodines. Il y a des sensibilités qui ne peuvent être encadrées par le statut professionnel, et les solidarités se tissent souvent à des endroits insoupçonnés.
En somme, il m’apparaît donc essentiel d’affirmer la nécessité du caractère créateur et spontané du travail social, misant sur l’alliance avec les opprimés et les laissés-pour-compte. Autrement, une trop grande focalisation sur les sphères normatives et exécutantes induites par la notion de titre réservé risque de dépouiller la discipline de son réel potentiel de changement et, ultimement, de son authenticité.