Des déchets radioactifs de faible activité?

Pendant que les médias parlent de coronavirus et d’émeutes raciales, le Canada s’affaire à tromper le public en détournant la définition de ses déchets radioactifs.
Les déchets de faible activité, par exemple, sont depuis toujours des produits radioactifs assez inoffensifs pour qu’on puisse les manipuler à main nue, sans blindage de protection. Or, dans quelques jours à peine, ces mêmes mots « déchets de faible activité » vont désigner des produits radioactifs mille fois plus dangereux, souvent mortels au toucher.
Ce détournement linguistique est caché dans un règlement-fleuve que la Commission canadienne de sûreté nucléaire (CCSN) prévoit d’adopter le 18 juin prochain. Le règlement prévoit qu’un produit radioactif sera « de faible activité » dès qu’il sera possible de l’éliminer de façon sécuritaire à moins de 30 mètres de profondeur (« près de la surface »), quitte à l’envelopper d’une chape de plomb ou de béton !
Un seul critère à respecter : ces déchets devront contenir surtout des produits radioactifs à vie courte, dont le danger aura disparu en « quelques siècles ». La logique ici, c’est qu’un dépotoir près de la surface est vulnérable à l’érosion et aux intrusions humaines. Comme ses systèmes d’isolement et de protection ont une espérance de vie limitée, on ne devrait y mettre que des déchets qui vont se désintégrer rapidement. Leur danger doit disparaître plus vite que le dépotoir.
L’illogisme, ce n’est pas de créer cette nouvelle classe de déchets ; c’est plutôt de conserver l’ancienne appellation qui devient alors trompeuse. On ne peut pas parler de déchets de faible activité si on ne tient même plus compte de leur niveau d’activité !
Pire, on se heurte alors à une absurdité scientifique : l’activité d’un produit radioactif, en physique, c’est sa vitesse de désintégration. Plus il se désintègre rapidement, plus son activité est forte. Cela veut dire qu’un produit radioactif de forte activité selon la physique serait maintenant un déchet de faible activité selon la nouvelle définition décrétée par la Commission canadienne de sûreté nucléaire !
L’erreur est si grossière qu’elle en devient incroyable, compte tenu de l’expertise de la Commission. Je m’attendais donc à ce que tout soit vite corrigé si je signalais le problème à ses experts et à sa présidente.
Pas du tout ! La dernière version du règlement, vieille de quelques jours, définit pour la première fois que les déchets de faible activité « sont appropriés pour évacuation dans des installations de gestion près de la surface », mais elle ne change pas leur nom pour autant. On persiste à les dire « de faible activité » même quand leur activité réelle est astronomique et mortelle. L’erreur est délibérée !
L’erreur a aussi des effets pratiques puisque la Commission se prépare à approuver une « installation de gestion de déchets près de la surface » à Chalk River, à côté de la rivière des Outaouais, dont l’eau potable alimente Gatineau, Laval et Montréal. Ce dépôt recevra plus d’un million de tonnes de déchets radioactifs civils et militaires qui appartiennent au gouvernement fédéral. Celui-ci nous promet que l’installation durera 500 ans même s’il s’agit d’un monticule de déchets entassés sur une colline. (C’est aussi cela, « près de la surface » !)
Depuis octobre 2017, le promoteur de ce monticule radioactif répète sur toutes les tribunes qu’il va y stocker « uniquement des déchets de faible activité ». C’était chaque fois un mensonge. Ses communications secrètes avec la Commission, obtenues grâce à la loi sur l’accès à l’information, révèlent au contraire qu’il n’a jamais eu l’intention d’exclure de son projet les déchets trop radioactifs pour qu’on puisse les toucher sans blindage. Parmi les 134 000 mètres cubes de barils et de conteneurs radioactifs qu’il prévoit d’entasser dans son monticule, aucun ne contient des déchets que vous pourriez toucher sans blindage.
Désormais, par la magie du nouveau règlement qui change le sens des mots, tout déchet radioactif placé dans ce dépôt deviendra par définition « de faible activité ». Toutes les promesses mensongères des trois dernières années deviendront vraies.
Heureusement que la Commission de sûreté nucléaire veille à notre sécurité !
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