Élèves abandonnés, parents épuisés

J’ai éclaté en sanglots quand j’ai appris que l’école primaire était suspendue jusqu’en septembre à Montréal. Un mélange de soulagement pour les enseignantes, et d’épuisement parce que j’ai le sentiment que les initiatives de suivi à distance mises en branle en catastrophe à l’annonce de la reprise vont toutes tomber au point mort, avec pour prétexte la nécessité de se préparer à la rentrée de septembre.

Si la pandémie a mis en évidence les profonds écarts entre l’école publique et l’école privée, elle met aussi en lumière, il me semble, tout le fardeau qui repose sur les épaules des parents, qu’ils soient de classe moyenne ou défavorisés, car au nom des inégalités, on pénalise la majorité, sans pour autant assurer le suivi nécessaire aux enfants en difficulté.

Or, dans une lettre envoyée au réseau le 2 avril, le ministre demandait à ce qu’un suivi individualisé avec les parents soit effectué et que la trousse pédagogique soit personnalisée, tout en laissant la latitude nécessaire aux équipes-écoles pour en déterminer le contenu et la forme. Comment se fait-il que ce suivi ait été si variable d’un enseignant à l’autre au sein d’une même école ? Et si serré dans le privé où plusieurs écoles ont repris les cours en ligne au lendemain de l’annonce de la fermeture en mars ? Le public et le privé ne relèvent-ils pas du même patron ? Bien sûr que l’improvisation et les déclarations contradictoires du ministre Roberge sont à dénoncer, mais le manque de vision et d’initiative des commissions scolaires est tout aussi consternant.

Heureusement, j’ai eu la chance de rencontrer quelques enseignants désobéissants sur mon parcours. Des enseignants qui me proposaient presque illégalement des activités, en insistant sur le fait que rien n’était obligatoire. D’autres nous adressaient au fouillis sans nom de la plateforme de l’école à distance ou aux manuels en accès libre de CEC, sans cibler d’exercices ou proposer de suivi. Alors que la conciliation travail-famille met déjà à rude épreuve l’équilibre familial, je suis celle qui doit planifier et obliger mes enfants à faire une heure de devoirs, pour me déculpabiliser de les laisser le reste de la journée sur les écrans parce que je n’ai pas le temps de m’occuper d’eux et de gérer leurs chicanes. Mais surtout parce qu’en tant qu’enseignante au collégial, j’ai la responsabilité d’assurer la fin de session de mes élèves, malgré la suspension de la cote R et l’inégalité des moyens. Garder un lien avec mes étudiants est ce qui donne un sens à mon travail, même si j’enseigne à des caméras fermées et que je maîtrise mal les outils appris sur le tas. J’ai l’impression de participer à l’effort collectif et de mettre la main à la pâte.

J’ai fait le choix de l’école publique, car je crois au bien commun et à l’égalité des chances. J’en appelle donc à la solidarité de mes collègues enseignants au primaire et au secondaire pour appuyer tous les parents en télétravail et sans emploi, en défiant le manque de direction et en réinventant l’école de la pandémie. Nous ne vous demandons pas d’être parfaits : nous vous demandons simplement de terminer l’année scolaire avec vos élèves en leur donnant un aperçu de ce qui les attendra en septembre si l’école devait reprendre à distance.

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