Revoir nos priorités en éducation

«Outre savoir lire, choisir des activités adaptées et les planifier selon un continuum cohérent, les présenter et les mettre en contexte pour que l’élève y trouve du sens demeurent un savoir-faire propre aux enseignants», estime l'auteure.
Photo: iStock «Outre savoir lire, choisir des activités adaptées et les planifier selon un continuum cohérent, les présenter et les mettre en contexte pour que l’élève y trouve du sens demeurent un savoir-faire propre aux enseignants», estime l'auteure.

Avant le 12 mars 2020, date de décision du confinement, l’école québécoise et ses acteurs s’interrogeaient à propos des inégalités scolaires et sociales ainsi que des stratégies d’enseignement à utiliser pour la réussite du plus grand nombre. L’arrivée de la COVID-19 nous a tous pris par surprise. L’arrêt des cours, le détournement des buts éducatifs et pédagogiques, nous amène à revoir les priorités. Que faire avec les élèves s’il n’y a plus d’examen du ministère pour aligner l’enseignement ? Comment allons-nous nous assurer que les élèves développent leurs compétences ? Que faire pour que les élèves continuent à apprendre ? Diffuser des ressources pédagogiques est une première réponse. Pour le moment, la seule.

Est-il possible de croire que les élèves non motivés avant la crise s’autorégulent pendant celle-ci en butinant d’un site web à l’autre, à la recherche d’exercices d’apprentissage pour se maintenir à flot ? Plus encore, se peut-il que les parents débordés par la gestion du quotidien et pas toujours au fait des programmes scolaires stimulent leurs enfants à réaliser des tâches scolaires à la maison ? On le sait bien, faire l’école à la maison, c’est possible lorsque les conditions sont réunies. Les parents qui investissent les apprentissages scolaires prendront le temps et l’énergie nécessaires pour faire avancer leurs enfants ou se tourneront vers des services de soutien à l’ apprentissage privés, qui fleurissent dans le paysage actuel. Même débordés, ils trouveront le moyen de les accompagner dans leurs activités scolaires, de leur offrir un environnement adéquat pour favoriser leur motivation et leur concentration dans les tâches à réaliser.

En créant un site permettant aux enfants qui en ont la possibilité de se divertir tout en apprenant, le ministère montre sa prise en compte du souci des familles. Il offre ici des ressources selon le niveau scolaire, une panoplie de liens web à explorer selon les matières scolaires. Mais la communication se fait par le web, comme toutes les autres informations : point de presse pour expliquer les récents développements, communiqué sur les mesures d’hygiène, publicités qui rappellent de rester chez soi, porte-paroles de tous genres, propos scientifiques vulgarisés. On a pensé aux interprètes en langue des signes, mais… pour faire l’école à la maison, il s’agit de bien plus que de disposer d’un site web. Il faut déjà pouvoir comprendre, et surtout, il faut savoir lire.

Bien qu’il s’adresse aux enfants, ce site web demande à être exploré par les parents avertis afin d’en comprendre la teneur et de soutenir les choix à effectuer. Ces sites regorgent de contenus colorés, d’icônes cliquables ou non et d’onglets pour exposer l’éventail de possibles qui s’offrent à eux. La question de l’accessibilité à l’information se révèle une considération cruciale. Alors, qu’en est-il des parents qui font partie des 60 % d’adultes disposant d’un faible degré de littératie ?

Outre savoir lire, choisir des activités adaptées et les planifier selon un continuum cohérent, les présenter et les mettre en contexte pour que l’élève y trouve du sens demeurent un savoir-faire propre aux enseignants. Comment aidera-t-on les parents à soutenir les apprentissages scolaires de leurs enfants, en particulier lorsqu’ils se trouvent en difficulté ou encore qu’ils sont des élèves considérés comme différents, en marge, que l’on reconnaît sous le vocable d’élèves à risque d’échec scolaire, voire d’élèves handicapés, en difficulté d’adaptation ou d’apprentissage (ÉHDAA) ? Que mettrons-nous en place pour les élèves différents qui valaient tant d’attention avant la crise ? Comment atteindrons-nous les nouveaux arrivants, les parents d’enfants en classe d’accueil, en classe de langue, etc. ? Si les derniers résultats des études PISA témoignent d’un rehaussement des compétences en littératie chez les jeunes de 15 ans au Québec, qu’en sera-t-il, à plus long terme ? Comment mesurera-t-on les effets de ce qui aura été mis en place pour soutenir cet aspect crucial du développement d’une société en santé ? En somme, que sont devenues les préoccupations d’équité qui animaient le système public ?

Il se révèle nécessaire de penser à demain et d’apporter des réponses aujourd’hui pour développer ce que pourrait être l’enseignement après la crise. Pour contribuer à cette réflexion, on peut interroger les actions prioritaires pour outiller les apprenants à persévérer et à se projeter dans l’avenir en tant que citoyens responsables. Mais il faut également penser à la façon dont nous tiendrons compte des inégalités scolaires et sociales. Comment allons-nous utiliser ce temps de recul obligé ? Saurons-nous faire preuve d’un désir collectif d’avancer ensemble, sans laisser se perdre les plus vulnérables ?

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