Nous n’avons plus le temps d’appuyer le projet Frontier

Les économistes de l’Institut économique de Montréal (IEDM) n’en sont pas à leur premier essai pour soutenir un système économique dont on sait pourtant le caractère nuisible à l’environnement et à l’humanité.
Plutôt que de discuter des défis économiques nombreux que pose la transition écologique, leur lettre récente en faveur du projet de sables bitumineux Frontier se fourvoie en sophismes (« Les Québécois devraient appuyer le projet de sables bitumineux Frontier »). Tandis que la lutte contre les fausses nouvelles et la défense de l’esprit critique sont appelées à être renforcées dans l’espace public, il convient de déconstruire une argumentation trompeuse.
Rappelons d’abord que, malgré son nom ronflant, l’IEDM est d’abord et avant tout un think tank. En le présentant comme un institut, on tend à oublier son statut réel de groupe de pression, avec un programme politique assumé. Sans céder à l’attaque contre les auteurs, il importe de se prémunir de l’argument d’autorité. C’est le premier sophisme.
Ensuite, évoquant le faible impact du Canada et d’un projet comme Frontier sur les émissions de gaz à effet de serre par rapport à des pays tels que la Chine ou le Japon, les auteurs cèdent au deuxième sophisme, celui de la double faute (« À quoi bon faire quelque chose quand les autres ne font rien ? », voire « Pourquoi nous critiquer pour nos erreurs quand les autres font pire ? »). Peu importe que l’on soit indépendantiste ou fédéraliste, il faut bien reconnaître que le Canada pourrait peser par ses actes, en tant que dixième puissance économique en matière de PIB et en tant que membre du G7.
L’argument relatif à la réputation du Canada en matière d’investissements si le projet Frontier devait être rejeté n’est guère plus recevable. En l’état, ce n’est rien d’autre qu’un faux dilemme, ce qui constitue le troisième sophisme.
On caricature la situation au point de vouloir nous faire accepter un projet de sables bitumineux sous prétexte de développement économique. Évidemment, ces arguments sont un peu courts, car la réputation économique, sociale et environnementale d’un État doit être prise en compte.
On pourrait rétorquer que, à l’heure où le Canada tente de retrouver une place au Conseil de sécurité de l’ONU, la communauté internationale scrutera les gestes du Canada à l’aune de ses engagements internationaux, y compris l’Accord de Paris.
Finalement, il paraîtrait que « la meilleure garantie d’un environnement mieux protégé est l’enrichissement » sous prétexte que les pays pauvres souffrent d’une pollution que les pays riches peuvent combattre grâce à leurs ressources. Il s’agit là, dernier sophisme relevé, d’une généralisation hâtive, c’est-à-dire d’une argumentation rapide et mal étayée. Contrairement à ce qui est prétendu, le choix entre développement économique et protection de l’environnement ne peut être gommé en étirant la perspective sur le temps long.
Sauf preuve du contraire, les données scientifiques du GIEC qui font consensus exigent de toute urgence la réduction des GES : pour limiter le réchauffement à 1,5 °C, nous devons les réduire de moitié d’ici 2030 par rapport à 2010, puis atteindre la « neutralité carbone » en 2050. Et contrairement aux argumentations pseudo-scientifiques, ces recommandations du GIEC reposent sur des conclusions scientifiques.