Attentat de Québec: je me souviens?

Ce 29 janvier marquera le troisième anniversaire du tragique attentat à la mosquée de Québec. Six de nos concitoyens y ont été froidement assassinés, d’autres y ont été gravement blessés, sans compter les «victimes collatérales». Que la mémoire des disparus soit ici honorée et la résilience des survivants, chaleureusement saluée.
Trois ans après le drame, avons-nous pris la mesure, individuellement et collectivement, de ce qui s’est passé en cette sinistre soirée de 2017? Bien sûr, après l’effroi initial, il y a eu de nombreuses déclarations, un élan de solidarité, des rassemblements civiques et des funérailles publiques. Toutefois, l’événement a vite été refoulé dans nos mémoires. Et sa portée, pour nos débats et notre devenir commun, a été déniée.
Alors que cet acte terroriste et haineux d’une violence inouïe marquait pourtant un «avant» et un «après» dans l’histoire du Québec, on s’est empressé de le renvoyer aux catégories de «triste fait divers» et de «geste isolé d’un désaxé». L’examen de conscience collectif qui s’imposait n’a donc pas été fait. Comment et pourquoi une telle horreur avait-elle pu se produire dans une société soi-disant pacifique, accueillante et tolérante comme la nôtre? Nous avons majoritairement refusé d’aller au bout de cette douloureuse interrogation. Le retour au business as usual n’a pas tardé.
Or, ce retour a largement consisté à reprendre en choeur les mêmes obsessions identitaires qui nous occupent jusqu’au délire depuis plus de deux décennies. Nombre de chroniqueurs, de commentateurs, d’animateurs de radio et d’agitateurs sur les réseaux sociaux ont tout bonnement continué à déverser leurs opinions xénophobes, islamophobes et religiophobes à pleins tuyaux. Et une part de notre classe intellectuelle et politique, abdiquant tout sens du droit et de la justice, s’est enfoncée dans le gouffre de la paranoïa envers les signes religieux, du mépris des minorités, de l’instrumentalisation de la laïcité et des fantasmes sur l’immigration.
C’est ainsi entre autres qu’aux dernières élections fédérales, nous nous sommes retrouvés avec une flopée de candidats québécois épinglés pour leurs commentaires anti-islam sur les réseaux sociaux ou pour leurs affinités avec des groupes extrémistes comme La Meute. Une bloquiste ayant déjà clamé son admiration pour la leader française d’extrême droite Marine Le Pen a même pu être élue sans difficulté dans une circonscription de la région de Québec. On croit cauchemarder! Imaginez les sentiments que cela peut générer chez les survivants de l’attentat.
Comment pouvons-nous à ce point n’avoir rien compris à ce 29 janvier 2017? Combien de temps nous faudra-t-il encore avant d’affronter nos démons et de tirer les conséquences qui s’imposent en matière d’éthique de nos discours sociaux, médiatiques et politiques? Il y a trois ans, le vivre ensemble au Québec a été considérablement « blessé » par le passage à l’acte de l’un des nôtres. Pour guérir, il faudrait oser regarder en quoi ce geste funeste peut être lu comme le symptôme extrême d’un mal sournois couvant dans notre corps social.
Malheureusement, nous semblons loin d’une telle introspection. Si bien qu’autant dans l’espace public que dans le privé, nombreux sont celles et ceux qui continuent de se complaire — comme si de rien n’était — dans la répétition compulsive de stéréotypes aussi mortifères qu’obscènes.
Ibrahima Barry, Mamadou Tanou Barry, Khaled Belkacemi, Abdelkrim Hassane, Azzedine Soufiane et Aboubaker Thabti, sachez malgré tout que vos noms sont gravés en nous pour toujours.