Mon ethnicité n’est pas votre déguisement, M. Trudeau

«Se vêtir d’habits traditionnels indiens pendant un voyage en Inde, en 2018, ce n’était pas l’idée du siècle», estime l'auteur.
Photo: Handout / Amritsar District Public Relations Officer / AFP «Se vêtir d’habits traditionnels indiens pendant un voyage en Inde, en 2018, ce n’était pas l’idée du siècle», estime l'auteur.

Je suis d’origine indienne et j’en ai marre des comportements de Justin Trudeau. Se vêtir d’habits traditionnels indiens pendant un voyage en Inde, en 2018, ce n’était pas l’idée du siècle.

Mais voilà, en 2001, il fallait se couvrir d’un maquillage brun pour un souper costumé. Merci d’avoir utilisé ma culture pour divertir.

Il y en a qui disent qu’il était jeune — et qu’il ne faut pas juger quelqu’un pour les méfaits commis durant sa jeunesse. Pourtant, il avait 29 ans, il était professeur, il était le fils d’un premier ministre et il avait voyagé assez avant ses 29 ans pour savoir que la couleur de la peau est utilisée pour harceler, pour discriminer, pour dénigrer.

Il y en a qui disent que M. Trudeau s’est excusé — que si on s’excuse, c’est déjà la preuve d’une certaine maturité. Et s’excuser, c’est très bien et c’est très important. Mais c’est la moindre des choses qu’un politicien puisse faire après avoir insulté des gens ainsi.

Il y en a qui disent qu’on doit se concentrer sur les enjeux réels et non pas sur les actions passées d’un personnage politique. Cependant, quand le personnage politique a été élu en partie en raison de sa jeunesse, de ses liens avec le pouvoir et de son apparence physique, il est difficile de faire complètement abstraction de certains de ses comportements. On ne peut pas d’un côté utiliser son vécu pour être élu, et d’un autre, le renier quand il incommode.

Mais, ce qui me déçoit le plus, ce n’est pas les actions de M. Trudeau. Ce qui me déçoit beaucoup plus, c’est la réaction de la population face à l’usage que le premier ministre a fait de la couleur de la peau pour divertir. Il y a beaucoup trop de gens du groupe dominant — oui, avec la peau blanche qui parlent le français — qui se disent peu préoccupés par les actions du premier ministre : ce ne sont que des folies de jeunesse qui auraient pu arriver à n’importe qui. Ce serait ce sentiment, d’ailleurs, qui aurait amené des enseignants à se déguiser en Autochtones en 2016, puis à prétendre que le déguisement ne visait qu’à amuser des élèves. Derrière ce sentiment se cache une attitude blasée envers tout groupe minoritaire qui subit des injustices. Pourquoi a-t-on ce sentiment ? Peut-être parce que nous sommes obsédés à l’idée de revivre les injustices causées par les Britanniques et que cela nous rend aveugles aux blessures qu’on inflige aux autres. La loi 21 témoigne de cet aveuglement.

Il y a aussi beaucoup trop de gens racisés qui excusent les comportements de M. Trudeau. Il a fait beaucoup plus pour les minorités que Stephen Harper, me dit-on. Pas très dur à battre, je crois. Il est un allié, me dit-on. Et ça m’enrage. Il n’a jamais été insulté dans la rue pour la couleur de sa peau, il n’a jamais vu son CV rejeté à cause de la couleur de sa peau. Alors, comme homme privilégié, son soutien aux minorités est très facile. Il peut défendre les droits des minorités et il peut se maquiller en brun et en noir. Il peut se battre contre les changements climatiques et il peut nous acheter un pipeline.

Mardi soir, le magazine Time a révélé les limites d’un homme qui a grandi dans le privilège. Les réactions de cette semaine nous ont démontré que la bonne volonté en l’absence de changements profonds et structurels dans la société est vide de sens.

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