Jugement sur la triparenté: et l’enfant dans tout ça?

Dans sa lettre d’opinion du 27 août, le professeur de droit Robert Leckey commente la décision que la Cour d’appel a rendue dans mon dossier. Un dossier qu’il aborde froidement, comme si les personnes impliquées n’étaient que des pions qu’on peut déplacer sur un jeu d’échecs. Ce sont pourtant des êtres humains qui sont en cause, parmi lesquels se trouve un enfant dont M. Leckey fait bien peu de cas.
Contrairement à ce que vous prétendez, M. Leckey, je ne suis pas le « donneur » au projet parental des deux mères. Il a été convenu avant la conception, dès le départ, que je serais le papa, père de cet enfant (entente signée par les trois parents) et que j’avais un projet avant de rencontrer les mères. C’est d’ailleurs ce qu’a reconnu la Cour supérieure qui, contrairement à la Cour d’appel, a entendu toutes les parties et évalué leur crédibilité. C’est aussi l’interprétation qu’en retient depuis le début la mère de naissance de l’enfant. Seule la conjointe de cette dernière, qui a changé d’expression de genre depuis, me refuse ce rôle et ce statut, alors même qu’elle avait signé tous les documents pour reconnaître mon statut.
Vous saluez le jugement de la Cour d’appel en indiquant qu’il confirme que la transition, pour ne pas dire la transphobie, n’a pas de portée juridique. Que voulez-vous sous-entendre exactement ? Que ma requête véhicule ce comportement ou cette attitude abjecte ? Je vous signale que je suis bisexuel et marié à un homme depuis 4 ans. Je n’ai pas de leçon à recevoir de qui que ce soit en termes d’ouverture à la diversité.
Mon plus grand souhait, au départ partagé par la mère et la co-mère, était que les trois parties au projet parental soient reconnues comme parents de l’enfant à part entière. Le droit québécois ne le permet malheureusement pas. J’ai placé toute ma confiance entre les mains des mères pour qu’elles me permettent de jouer mon rôle de père dans les faits. Lorsque la co-mère s’est retranchée derrière les limites du droit pour m’évincer du décor, je suis resté fidèle à mon rôle, dans l’intérêt de l’enfant. Un rôle que j’assume depuis la conception. Vous connaissez plusieurs donneurs ou similiparents de seconde zone qui sont présents à l’accouchement, qui assument la plus grande partie des dépenses de l’enfant, qui assistent à la première de tous les événements marquants de l’enfance, qui prennent charge de l’enfant sur une base régulière ?
Vous terminez votre article en affirmant que le jugement de la Cour d’appel est une « décision juste ». Juste pour qui M. Leckey ? Pour notre enfant de 5 ans dont j’assume la garde partagée avec la mère de naissance depuis 3 ans et à l’égard duquel la Cour d’appel me réduit au rang de tiers, voire d’étranger ? C’est pour cet enfant, M. Leckey, que j’ai dû me résoudre à entreprendre des procédures judiciaires lorsque la co-mère, avant même sa transition, et lors de sa séparation avec l’autre mère a voulu m’en écarter. Parce qu’un père, contrairement à un simple donneur, se bat pour son enfant. En affirmant que « le donneur de sperme n’est plus le seul homme ou seul « papa » dans la vie de l’enfant et [qu’il] n’en est pas content », vous faites preuve d’une grande malhonnêteté intellectuelle qui ne fait pas honneur à votre statut. Je serais le plus heureux des hommes si le droit me permettait d’exercer ma paternité conjointement avec la maman de naissance et le deuxième papa qu’est devenue la co-mère.
Un papa, père sans droit, mais qui remplit toutes ses obligations