Naître égaux, vraiment?

Être un enfant canadien et être privé de soins de santé, est-ce possible en 2019 ? Être un enfant canadien, être né à Montréal et ne pas avoir de carte d’assurance maladie, est-ce possible ? C’est non seulement possible, mais fréquent, dans notre société qui se pense pourtant à l’avant-garde des droits des enfants…
Le petit Thierno* a 18 mois. Il a une santé fragile et tombe souvent malade. Thierno est asthmatique, et aurait besoin de suivis réguliers. Il montre également des signes de retards de développement. Thierno, comme tous les enfants québécois, devrait avoir le droit de recevoir des soins de santé. Après tout, il est né dans un pays qui a ratifié la Convention relative aux droits de l’enfant, qui s’applique à tous les enfants, en tout temps, quelle que soit leur situation ou celle de leurs parents, et qui devrait lui garantir le droit aux soins de santé.
Mais Thierno n’a pas accès au réseau de santé québécois…
En effet, l’accès de Thierno aux soins de santé est lié au statut de sa mère. Sa mère est arrivée de Côte d’Ivoire il y a trois ans, avec un visa d’étudiante, mais a dû interrompre ses études parce qu’elle était enceinte. Elle craint de rentrer dans son pays parce que sa famille veut organiser un mariage arrangé avec un homme beaucoup plus âgé. La mère de Thierno a présenté, il y a déjà deux ans, une demande de résidence permanente, mais vient d’apprendre il y a quelques semaines que son dossier faisait partie des 18 000 dossiers rejetés par Immigration Québec en raison de la réforme de la loi sur l’immigration… Thierno restera donc longtemps encore privé de ses droits à la santé…
La mère de Thierno a eu la chance de trouver sur sa route notre équipe interdisciplinaire du Centre de pédiatrie sociale de Saint-Laurent/Au coeur de l’enfance, qui accompagne et soigne des enfants laissés pour compte, sans statut, demandeurs d’asile, qui tombent dans les failles du système… Des enfants qui, comme Thierno, ne naissent pas égaux et ont difficilement accès aux soins de santé… Avec le soutien de partenaires comme Médecins du Monde, ou en négociant avec des cliniques privées pour obtenir des tests gratuits, notre équipe parvient à fournir un suivi médical adéquat. Mais le parcours est complexe, pour des parents qui vivent déjà dans une grande précarité…
Complexes aussi, et ô combien chargés d’inquiétudes, les suivis de grossesse que l’équipe du Centre de pédiatrie de Saint-Laurent effectue avec des femmes sans statut. Des femmes qui nous arrivent souvent en fin de grossesse, sans suivis médicaux dans les premiers mois. Des femmes dont la santé et celle de leur futur bébé sont compromises par le manque d’accès aux soins…
En signant la Convention relative aux droits de l’enfant, notre gouvernement s’était engagé, en notre nom, à accorder la priorité à l’intérêt supérieur des enfants dans toutes les décisions les concernant. N’est-il pas temps que nous demandions collectivement, pour Thierno, pour Samira, pour Chérie, et pour les centaines de petits Québécois comme eux, le droit de grandir en santé ? Que nous demandions, pour ces enfants qui sont nos enfants, le droit de naître égaux ?
* Le nom de l’enfant a été changé pour protéger son intimité et celle de sa mère.