Patrimoine: joindre le geste à la parole

La maison de l'homme politique québécois et éditeur John Neilson, à Saint-Gabriel-de-Valcartier
Photo: Francis Vachon Le Devoir La maison de l'homme politique québécois et éditeur John Neilson, à Saint-Gabriel-de-Valcartier

Il ne se passe pas un mois, semble-t-il, sans qu’une structure patrimoniale soit mise à terre au Québec ou qu’une rénovation lui inflige un outrage architectural. Cet état de fait est la conséquence de nos choix collectifs.

Québec vient de se doter d’une Politique culturelle qui fait du patrimoine un des « éléments fondamentaux de la vitalité du territoire ». Montréal a adopté un Plan d’action en patrimoine, qui vise une meilleure mise en oeuvre de sa Politique du patrimoine de 2005. Ces initiatives sont les bienvenues, mais elles ne suffisent pas. Seule une augmentation significative des investissements publics fera une différence.

Alors que la définition du patrimoine historique s’élargit et que les enjeux de la conservation se complexifient, les moyens d’action changent peu. Des organismes tels qu’Héritage Montréal ont beau déployer des efforts admirables, l’intérêt du public semble se focaliser sur le « verdissement » des constructions neuves plutôt que sur la conservation du patrimoine. La vigueur des marchés immobiliers renforce la perception de la conservation comme une entrave.

La jeunesse, qui se mobilise pour la durabilité et la résilience, ne semble pas désireuse de faire de la conservation du patrimoine un sujet de carrière professionnelle. Malgré les efforts de recrutement et le rayonnement des activités de recherche à la Faculté de l’aménagement, et bien que nos diplômés occupent des postes intéressants, notre programme de maîtrise en Conservation du patrimoine bâti attire de moins en moins de candidats, et nos cours dans le domaine voient leur fréquentation diminuer.

Cette situation si décevante est due au fait qu’il n’y a pas assez de demande en spécialistes de la conservation du patrimoine, ni assez de reconnaissance de leur contribution à la qualité des projets et des plans. Le manque de demande et de reconnaissance est lui-même dû au fait que ni l’État ni le secteur privé n’ont créé un marché de l’emploi dans le domaine.

L’exemple américain

La situation est fort différente aux États-Unis. Depuis 1976, le Federal Rehabilitation Tax Credit offre des crédits d’impôt très substantiels pour la rénovation de bâtiments classés. Cet incitatif a stimulé des investissements massifs (7,16 milliards de dollars en 2016) et permis la rénovation de plus de 42 000 bâtiments de tous types.

Surtout, le « Historic Tax Credit » a créé un marché de l’emploi en conservation du patrimoine bâti. Du côté du secteur privé, une demande de participation au programme de crédit d’impôt comporte une évaluation experte des qualités patrimoniales du bien foncier, une description détaillée des travaux proposés et un rapport final sur les travaux effectués. Du côté du gouvernement, l’octroi de crédits d’impôt exige une analyse critique des rapports d’expertise et autres documents. Tout cela crée une demande à laquelle des programmes universitaires répondent depuis des décennies. En même temps, le crédit d’impôt a permis la création d’une alliance publique privée en faveur de la conservation du patrimoine bâti.

Le Comité permanent de l’environnement et du développement durable de la Chambre des communes a recommandé au gouvernement fédéral de créer un crédit d’impôt pour la restauration de bâtiments patrimoniaux. Le gouvernement du Québec doit en faire de même.

Les connaissances pointues et la bonne volonté que l’on retrouve au sein des universités, de la société civile et du gouvernement ne suffisent pas. Tant que l’État ne consentira pas les investissements nécessaires par l’entremise d’un crédit d’impôt ou d’un outil similaire, conservation continuera à rimer avec frustration — frustration des propriétaires privés, qui ne trouvent pas leur compte dans l’achat et la réhabilitation d’un bien patrimonial, et frustration des défenseurs du patrimoine québécois, qui le voient disparaître monastère par monastère, maison par maison.

*Ont également signé ce texte : 
Raphaël Fischler, Doyen de la Faculté de l’aménagement de l’Université de Montréal;
Christina Cameron, Professeure titulaire et détentrice de la Chaire de recherche du Canada en patrimoine bâti de l’Université de Montréal;
Claudine Déom, Professeure agrégée et responsable de l’option Conservation du patrimoine bâti de la maîtrise en aménagement de l’Université de Montréal;
Julia Gersovitz, Professeure associée à l’École d’architecture de l’Université de Montréal; Jacques Lachapelle, Professeur titulaire et directeur de l’École d’architecture de l’Université de Montréal

À voir en vidéo