Équité salariale: quand Québec fait fi de la Cour suprême

Plus de vingt ans après l’adoption de la Loi sur l’équité salariale, la lutte pour mettre un terme définitif aux discriminations salariales envers les femmes doit malheureusement encore être menée. Parfois à coups d’interminables discussions avec les employeurs, ou encore par le biais de longues démarches judiciaires.
Ce combat sans fin se déplace présentement à l’Assemblée nationale, où est débattu le projet de loi 10 visant à modifier la Loi sur l’équité salariale.
Des modifications devenaient nécessaires depuis que la Cour suprême a rendu, en mai dernier, un jugement invalidant certains articles de la loi, forçant ainsi le gouvernement québécois à la réviser. Principal enjeu : les correctifs salariaux doivent être rétroactifs, estime la Cour suprême, au moment où une discrimination est apparue — par l’entremise d’une modification aux tâches ou aux exigences d’un titre d’emploi, par exemple — plutôt qu’au moment où l’exercice de maintien de l’équité est effectué. Le gouvernement du Québec disposait d’un an pour modifier sa loi.
Le ministre Boulet avait déjà affirmé que la réforme en profondeur de la loi, annoncée par le précédent gouvernement, devrait attendre. Pourtant, le présent projet de loi introduit d’importantes mesures d’exception qui ne permettent pas de mettre un terme aux injustices. En effet, le projet de loi ne s’appliquerait que pour les plaintes déposées… après son adoption à l’Assemblée nationale.
Or, il ne faut pas oublier qu’en tant que principal employeur au Québec, le gouvernement est lui-même assujetti à sa propre Loi sur l’équité salariale. Comme tout employeur, celui-ci a l’obligation de procéder, tous les cinq ans, à une évaluation de son programme d’équité salariale pour s’assurer qu’aucune nouvelle discrimination ne s’y est introduite.
L’exercice de maintien de l’équité salariale du secteur public réalisé en 2010 a été l’objet de milliers de plaintes le contestant, déposées tant par des salariées que par des organisations syndicales — tout comme l’exercice de 2015, par ailleurs. Malgré les efforts de conciliation, aucune entente n’a été possible avec le Conseil du trésor pour régler ces litiges. La Commission sur les normes, l’équité et la santé et sécurité au travail (CNESST) n’a toujours pas rendu une décision sur ces plaintes. Et le gouvernement affirme aujourd’hui que, malgré l’inconstitutionnalité de sa loi, les modifications apportées aux paramètres de rétroactivité ne s’appliqueraient que pour le futur ? C’est d’un total mépris envers les femmes, qui représentent plus de 75 % du personnel du secteur public.
Cette mesure d’exception s’appliquerait tout autant aux employeurs du secteur privé. Par son projet de loi, le gouvernement vient en quelque sorte cautionner leur laxisme des dernières années. Il était pour le moins insultant, lors des travaux en commission parlementaire, d’entendre le patronat affirmer qu’ils ne sont pas contre l’équité salariale, mais qu’il faudrait que ce soit plus simple et que ça ne coûte pas trop cher. Certaines organisations patronales sont allées jusqu’à déclarer que les « bons » employeurs ne devraient pas être punis à cause du comportement des « mauvais » employeurs.
Désolée, chers employeurs, mais l’équité salariale, ça ne se fait pas à moitié. Ni à rabais : des économies ont été faites sur notre dos pendant des années, il serait temps qu’on mette définitivement un terme aux injustices envers les femmes et qu’on puisse faire autre chose que d’avoir à se battre constamment pour que l’esprit de la loi soit enfin respecté.