La séparation du croyant et du citoyen
Quand on discute de la question de la laïcité, on aborde habituellement cette question sous l’angle de la séparation de l’Église et de l’État. Pourtant, dans tout le débat soulevé par la laïcité de l’État, on n’évoque pratiquement jamais la séparation du croyant et du citoyen. L’interdiction du port de signes religieux pour tous les employés de la fonction publique me semble pourtant relever davantage de cette séparation. Or, les grandes religions monothéistes ne peuvent que s’opposer à cette séparation du croyant et du citoyen. On peut s’en convaincre en jetant un coup d’oeil sur le passé, particulièrement sur l’encyclique Pascendi dominici gregis (1907) du pape Pie X qui, au début du XXe siècle, condamnait la théorie de l’évolution, théorie qui entachait la thèse créationniste de l’Église catholique.
Dans cette encyclique, le pape Pie X affirmait : «Il en est parmi vous, gonflés d’esprit de vanité ainsi que des outres qui plient les Saintes Lettres aux doctrines de la philosophie rationnelle, par pure ostentation de science. » Et il fustigeait ceux et celles qui préconisaient la séparation de l’Église et de l’État, mais aussi la séparation du catholique et du citoyen. Pour le chef suprême de l’Église catholique, le fidèle est d’abord un catholique avant d’être un citoyen et un bon catholique se soumet à l’autorité de l’Église dépositaire de la parole de Dieu. Ce qui est premier pour le pape (mais cela est vrai pour toutes les religions), ce n’est pas le citoyen, mais le catholique, ce n’est pas l’État, mais la parole de Dieu. Pour l’État, la personne est d’abord et avant tout un citoyen, quelles que soient ses convictions en matière de religion.
De même, un État laïque refuse que les religions orientent ou contraignent ses politiques. Ceux et celles qui s’opposent à l’interdiction du port de signes religieux pour les employés de l’État ne réclament-ils pas, au contraire, que leurs croyances aient préséance sur les devoirs du citoyen envers l’État ? N’exigent-ils pas, comme le faisait le pape Pie X, une non-séparation du catholique et du citoyen, du musulman et du citoyen, du juif et du citoyen ? Et que les lois divines aient préséance sur celles de l’État, que les convictions religieuses du citoyen ne puissent, sous aucun prétexte, se soumettre à la laïcité de l’État ? La séparation du citoyen et du croyant ne nous libère-t-elle pas, au contraire, de l’emprise des religions sur les consciences ? Ne rend-elle pas hommage à nos libres penseurs que furent Louis-Antoine Dessaulles, Joseph Doutre, Arthur Buies et Albert Laurendeau ?
Or, si la laïcité promouvait l’idée qu’avant d’être catholique, protestant, musulman, juif, agnostique ou athée, nous étions d’abord des citoyens ? S’il ne s’agissait pas de protéger l’identité québécoise, mais de privilégier les lumières de la raison humaine plutôt que l’obscurantisme des révélations religieuses ? S’il s’agissait de ne pas assujettir la libre-pensée à la suprématie de Dieu ? Et si le désir de laïcité se voulait désir de démocratie et rejet de toute théocratie inhérente à toutes les religions ? Ne devrions-nous pas la défendre plutôt que la vilipender et l’associer au racisme et à l’islamophobie ?