On va parler de suicide, OK?

Lors de la dernière émission de Tout le monde en parle (TLMEP), dimanche 14 octobre, Hubert Lenoir s’est laissé aller à une confession sans se douter du malaise qu’il susciterait instantanément : « Ouain, j’ai un peu le goût de me crisser en feu ces temps-ci. » À ses hôtes visiblement ébranlés qui lui ont demandé « pourquoi ? », c’est un jeune homme vulnérable qui a rétorqué : « C’est un sentiment… je ne sais pas. »
La suite de l’échange aurait pu être humainement magnifique mais, au lieu de cela, on a pu observer à quel point le suicide, et ce sentiment, est tabou au Québec. Il s’agit de choses dont on ne parle pas ou dont on parle très mal (la plupart du temps). Sur le plateau de TLMEP, Guy A. Lepage a sans doute voulu jouer la carte de la-lumière-au-bout-du-tunnel en faisant remarquer : « Tu sais que Michel [Courtemanche] a vécu ça et qu’il ne l’a pas fait… » Sauf que la carte n’a pas eu l’effet escompté. Évidemment. Allô la culpabilité ! Hubert Lenoir a semblé regretter d’avoir lâché cette bombe et a alors tenté de minimiser le tout en plaidant le classique : « Ah non, mais je disais ça de même. » Ce à quoi il s’est immédiatement fait répondre par Dany Turcotte : « On ne dit pas des affaires de même ! » Vraiment, ça allait de pire en pire dans mon écran ce soir-là. Pourtant, le jeune homme de 24 ans a essayé de le défendre jusqu’au bout, son sentiment, cherchant quelques traces, chez ses interlocuteurs, d’un ressenti similaire au sien : « Quoi, t’as pas le goût, toi, des fois de… ? T’sais, genre, on finit ça là ? »
« Non. »
Non ? ! Je ne l’accepte pas, moi, ce non-là ! Parce qu’il y en a plein de gens, au Québec, qui l’ont, ce sentiment. Qui ont envie de « se crisser en feu ». Qui ont envie de disparaître. Qui veulent s’endormir et ne plus jamais se réveiller. Qui ont mal. Qui ont le sens de la vie qui se délite sous leurs yeux, le matin, quand ils se réveillent. Il y a en a plein de gens, au Québec, qui sont en train de se mourir par en dedans : à cause du rythme de vie effréné que notre temps nous impose, à cause d’un boulot qu’on déteste et qui nous fait sentir insignifiants, à cause de problèmes de famille ou de problèmes de couple ou de problèmes à l’école… Eh oui, même nos enfants ne sont pas à l’abri de ce sentiment. Ce sentiment de vouloir en finir une fois pour toutes, l’espace d’un moment, quand rien ne va plus. Mais toutes les raisons que l’on peut invoquer pour tenter d’expliquer ce sentiment ne comptent pas. Sur le coup, c’est le sentiment qui compte et qu’il faut apprendre à écouter et à légitimer. Demander à Hubert Lenoir « pourquoi il a envie de se crisser en feu », ça ne servait à rien.
« C’est un sentiment… je ne sais pas », qu’il a dit.
Ce soir-là, j’aurais aimé pouvoir dire à Hubert : « Dude, t’as le droit en esti de te sentir de même quand ça va pas. C’est dégueulasse, mais ça va passer. » J’aurais peut-être même fait une joke poche. Parce qu’il faudrait arriver à en rire, des fois, de ça, pour foutre un coup de pied dans le tabou que ça représente, le fait d’avoir envie de se crisser en feu.
À ceux et celles qui ont peur de l’impact que mes propos pourraient avoir ou qui pensent que je vais trop loin en affirmant qu’il faudrait même apprendre à rire de tout ça, sachez que je suis bien placée pour savoir que le mal-être de quelqu’un est quelque chose de grave et de lourd. Mon père s’est suicidé quand j’étais ado — au mois d’octobre, d’ailleurs. Mon père a été de ceux qui ne le voyaient plus, le sens. Mais surtout, il a été de ceux, de ces hommes, qui ont cruellement manqué d’une parole libérée. Quand par en dedans c’est déjà lourd à porter, tu te dis que tu ne peux pas gérer, en plus, la lourdeur de la réaction que les autres auront devant ton mal-être. T’as besoin de léger, t’as besoin d’un répit, t’as besoin de savoir que ceux et celles que tu aimes sont là, juste là. T’as besoin de valider que t’es pas en train de devenir fou, que t’es juste humain, que la vie c’est parfois une salope mais qu’elle reste belle. T’as besoin de ressentir que c’est correct d’avoir des journées, des mois, des années merdiques, mais qu’à force de pouvoir le gueuler, que ça ne va pas, la lourdeur va finir par s’en aller…
Dans la société du bien paraître et de la performance à tout prix, ce n’est pas toujours évident de se montrer vulnérable et de dire des affaires de même… Pourtant, il va bien falloir qu’on apprenne à le faire.
« Quoi, t’as pas le goût, toi, des fois de… ? T’sais, genre, on finit ça là ? »
Hey, c’est trois Québécois par jour qui finissent ça là. Il va falloir qu’au Québec on apprenne à parler d’affaires de même.
Besoin d’aide ? Ligne québécoise de prévention du suicide : 1 866 277-3553