Conséquences cachées de la loi 10 sur les services sociaux aux jeunes

Selon l'auteure, la recette miracle des économies semble toujours être de fusionner les établissements, sans égard aux bouleversements que cela engendre pendant des années sur tout le personnel concerné. 
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Selon l'auteure, la recette miracle des économies semble toujours être de fusionner les établissements, sans égard aux bouleversements que cela engendre pendant des années sur tout le personnel concerné. 

Dans le bilan du gouvernement libéral, on ne cessait de parler des médecins, des hôpitaux, laissant toujours dans l’ombre les impacts de la loi 10 sur les services sociaux. Bien sûr, l’hypercentralisation des décisions à Québec, avec l’abolition des agences régionales de santé et de services sociaux et la fusion massive d’établissements pour créer les immenses CISSS et CIUSSS ont été relatés. Le but était d’économiser en mettant ensemble les services administratifs et de soutien de tous ces établissements. Je souhaite attirer l’attention sur un milieu que je connais bien, celui des centres jeunesse.

La recette miracle des économies semble toujours être de fusionner les établissements, sans égard aux bouleversements que cela engendre pendant des années sur tout le personnel concerné et sur la qualité des services offerts aux jeunes et à leurs parents. Cette recette a été imposée à répétition aux établissements publics donnant des services sociaux et de réadaptation aux jeunes en difficulté, qui, dans les années 1980, ont connu plusieurs regroupements ou fusions avant que la réforme de 1993 ne les fusionne tous par région pour devenir les centres jeunesse (CJ).

À Montréal, de longues années de chaos se sont succédé avant qu’une organisation solide tant au plan clinique qu’administratif prenne forme. Malgré des compressions exigées chaque année, le centre jeunesse avait réussi à offrir des services cohérents, soucieux des droits et besoins de ses usagers. Sans être un établissement parfait, il avait réussi à rassembler ses acteurs venus d’horizons divers dans une mission commune aux valeurs partagées, avec des assises cliniques et scientifiques en évolution.

Voilà en 2015 que se déploie la loi 10, signifiant pour les CJ une fusion avec des établissements de tout autre nature, faisant passer le nombre d’employés d’environ 3 000 à 15 000. Cette fois, il n’est plus question de marier quelques professions au service d’une clientèle précise, mais bien d’arrimer 45 professions et techniques, majoritairement dédiées à la santé et pour une clientèle aux besoins disparates, de 0 à… 105 ans.

Humains en souffrance

 

Dans cette fusion orientée santé, les particularités de l’intervention auprès de jeunes en difficulté comportementale et relationnelle n’ont reçu ni attention ni compréhension. Le mot d’ordre est « optimiser, uniformiser, harmoniser », donc réduire le plus possible les coûts en ménageant les apparences. La méthode de gestion préconisée est celle qui prévaut en usine : la méthode dite « Toyota » ou « Lean »; les processus sont analysés comme sur une chaîne de montage et on fait la chasse aux pertes d’énergie, de temps ou d’argent.

Si cela est souhaitable, cela ne devrait pas se faire en s’imaginant que des humains en souffrance, parfois assez désorganisés, vont se comporter comme des boîtes de conserve. Travailler auprès de personnes ayant des difficultés personnelles multiples et tenter de leur venir en aide avec humanité et compétence requiert un travail d’équipe multidisciplinaire et du temps pour réfléchir. Travailler en relation d’aide suppose justement une relation, et la difficulté pour la créer dans ce contexte semble importer peu aux décideurs.

Dans la vision de la haute administration, ces particularités sont vues comme des dépenses inutiles, si bien que le centre jeunesse a été dépouillé d’une quantité importante d’effectifs qui soutenaient les intervenants, donnant maintenant leur temps à d’autres clientèles que les jeunes en difficulté. La vision du gouvernement a été de ne préserver que les services directs aux usagers, pour pouvoir dire à la population « On n’a rien enlevé à la clientèle », mais c’est une vérité trompeuse, car nombre de professionnels (formation, services professionnels, juridiques, recherche, pour ne nommer que cela) ne sont plus là pour collaborer à la qualité des services aux usagers. Les intervenants et leurs gestionnaires sont laissés sans le soutien requis pour faire face aux défis de l’intervention avec une clientèle souvent involontaire.

Loin de moi l’idée de dire que la clientèle des CJ est la seule qui s’est fait prendre des ressources en coulisses, sans bruit. La loi 10 a obligé nombre d’établissements à perdre leur identité, à disséminer leur personnel et à désintégrer ce qui était souvent des communautés de travail à échelle humaine où on aimait oeuvrer. Toutefois, la mission services sociaux est toujours passée loin derrière la santé et cette mégaréforme démantèle en silence ce que des générations d’intervenants ont peiné à bâtir.

Gérer les services de l’État en matière de services sociaux et de santé comme une entreprise qui doit faire du volume chiffré est une garantie assurée de déshumanisation, tant pour les usagers que pour le personnel.

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