Sur le modèle agricole québécois

«Nous nous enlisons, nous fonçons tête première vers le désastre et il est inquiétant d'entendre l’UPA dire que tout va bien», affirme l'auteur.
Photo: Jacques Nadeau Le Devoir «Nous nous enlisons, nous fonçons tête première vers le désastre et il est inquiétant d'entendre l’UPA dire que tout va bien», affirme l'auteur.

« Notre modèle agricole fonctionne bien ! », lisait-on récemment sur le site de l’UPA. Ah oui ! Le modèle agricole québécois va bien ?! Ce n’est pas ce que chantent les oiseaux et bruissent les abeilles ; ce n’est pas ce que raconte la terre ! Depuis nombre d’années, l’agriculture est l’industrie la plus polluante au Québec ; elle contamine les sols, les rivières et nos assiettes ! Insatiables en eau et en carburant, les monocultures fragilisent les habitats, réduisent la biodiversité et favorisent l’érosion pendant qu’une machinerie de plus en plus lourde compacte les sols de moins en moins organiques ; lesquels sols exigent une fertilisation et des pesticides chimiques dévastateurs ! Que penser ensuite des élevages intensifs, des surplus de lisiers, du problème des antibiotiques et des super-bactéries ! De moins en moins de fermes, de moins en moins de familles et d’enfants, un taux de suicide tristement élevé chez les fermiers : le portrait de notre agriculture est en réalité fort désolant.

« J’ai 81 ans et je constate avec tristesse que nos fermes, nos terres, nos campagnes, nos savoir-faire disparaissent à toute allure. L’agriculture est gigantesque, mécanisée, chimique, génétique, toxique, […] elle est devenue une industrie, la ferme est une usine, la nourriture est un produit du commerce comme un autre, et toutes trois sont désormais sous le contrôle absolu des grandes compagnies multinationales », constate Roméo Bouchard, cultivateur et militant pour la vie paysanne depuis longtemps. Au Québec, nous sommes en voie de reproduire le modèle des grands propriétaires terriens qui s’enrichissent en appauvrissant tout le reste.

« La seule agriculture évangélique — disait le frère Savignac — est l’agriculture biologique. » Alors qu’elle devrait être la norme et non l’exception, nous oublions qu’avant l’arrivée des apports chimiques tout était bio ! Riches et pauvres mangeaient bio ! Avec les outils améliorés d’aujourd’hui et l’apport d’expériences de partout accessibles, qu’attendons-nous ! N’est-il pas gratifiant pour un paysan producteur de savoir qu’il nourrit sainement la terre et le bétail… qu’il offre des aliments sains à ses voisins et concitoyens ?

Force est d’admettre, toutefois, que la conversion à cette agriculture bio est bien peu encouragée. Nous nous enlisons, nous fonçons la tête la première vers le désastre et il est inquiétant d’entendre l’UPA dire que tout va bien. Nous sommes en train d’oublier la génération d’après, d’acheter du temps à crédit ; nous accumulons envers la terre une dette impressionnante. Une terre qu’on oublie de nourrir pendant longtemps aura besoin d’être vivifiée à nouveau ; et vivifier un sol ne se fait ni dans un laboratoire, ni devant un écran, ni par magie ! Redonner au sol la santé prend du temps ! L’expérience démontre qu’il a fallu parfois même replanter, reconstituer une forêt pour redonner à la terre sa vigueur organique. Voulons-nous en arriver là ?

« Small is beautiful », écrivait l’économiste britannique Friedrich Schumacher, qui proposait un modèle de développement à échelle humaine. Nous avons choisi le chemin opposé ; le « de plus en plus gros », l’enrichissement financier à outrance rimant avec l’appauvrissement de notre santé et de notre patrimoine agricole. « Big is frightful. »

Avec tout le respect que j’ai pour les paysans…

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