Manque d’infirmières: pénurie réelle ou structurelle?

«La pénurie de main-d’œuvre a le dos large, affirme l'auteure. Les employeurs ne peuvent plus se cacher derrière cette chimère. Il en va du bien-être de milliers de travailleuses du Québec et de la qualité des soins à d’autant plus de patients.»
Photo: Brendan Smialowski Agence France-Presse «La pénurie de main-d’œuvre a le dos large, affirme l'auteure. Les employeurs ne peuvent plus se cacher derrière cette chimère. Il en va du bien-être de milliers de travailleuses du Québec et de la qualité des soins à d’autant plus de patients.»

Le 27 septembre dernier, un article des journalistes Amélie Daoust-Boisvert et Isabelle Porter, « Infirmières : le remède à l’épuisement tarde à être administré », faisait état de retards dans l’implantation des ratios professionnelles en soins/patients, de même que de complications dans la mise en oeuvre des projets pilotes promis par le ministre de la Santé, Gaétan Barrette. La principale raison invoquée dans l’article justifiant ces reports est la pénurie d’infirmières. Or, doit-on parler de pénurie réelle ou structurelle ?

Le plus récent rapport statistique sur l’effectif infirmier publié par l’Ordre des infirmières et infirmiers du Québec (OIIQ) expose que, pour la période couvrant le 1er avril 2016 au 31 mars 2017, les infirmières ont été plus nombreuses à rejoindre les rangs de la profession qu’à les quitter. De plus, il est démontré que les départs à la retraite sont pratiquement à la même hauteur que la période précédente, 2015-2016. La main-d’oeuvre infirmière étant en croissance continue, notamment depuis 2012-2013, le problème réside plutôt en une planification idéologique de la main-d’oeuvre.

Depuis une quinzaine d’années, les infirmières connaissent une situation de plein emploi, soit d’environ 95 %. Paradoxalement, le taux d’emploi à temps complet a diminué d’un point de pourcentage depuis le rapport statistique de 2015-2016, et ce, dans la majorité des régions du Québec. Plus précisément, en 2016-2017, 58,4 % des effectifs infirmiers travaillent à temps complet, 33,3 % à temps partiel et 8,3 % sur une base occasionnelle. Ainsi, malgré les besoins réels et un contexte de plein emploi favorable à l’augmentation du nombre de postes à temps complet, les infirmières sont toujours confinées à la précarité. Elles le sont d’ailleurs davantage que leurs collègues masculins — proportionnellement à leur représentation dans l’effectif infirmier —, car 65 % d’entre eux occupent des postes à temps complet comparativement à 57,6 % d’entre elles.

Face à ces statistiques, force est de constater que la pénurie de main-d’oeuvre infirmière n’est pas réelle. Elle est plutôt structurelle, portée par des politiques néolibérales ; lorsque les employeurs du réseau de la santé allèguent la pénurie, ils invoquent leur propre turpitude puisque les postes à temps partiel prolifèrent au détriment des postes à temps complet. Les conséquences sont graves pour l’ensemble d’un réseau, pour les patients, mais surtout pour les conditions de travail de milliers de femmes.

Planification inadéquate

 

Alors que la précarité d’emploi sévit chez les infirmières, les employeurs ont parallèlement recours aux heures supplémentaires, aux heures supplémentaires obligatoires et à la main-d’oeuvre indépendante. Ces mesures se normalisent au détriment d’une planification adéquate de la main-d’oeuvre. Qui plus est, le déficit de poste à temps complet dans les services entraîne inévitablement un manque de personnel et, finalement, une surcharge de travail des professionnelles en soins. La gestion néolibérale du réseau de la santé s’immisce ainsi de plus en plus ouvertement dans les soins. Les infirmières subissent une violence organisationnelle constante ; ce sont elles qui pallient sans cesse les échecs des gestionnaires, la gourmandise des médecins, les réformes Toyota, les programmes Lean, le manque de volonté politique, le sous-financement du système public de la santé. On leur demande toujours plus de flexibilité, de mobilité à travers des territoires immenses se déployant de Saint-Eustache à Notre-Dame-du-Laus, de conciliation, utilisant leur vocation contre elles. Bien qu’elles se mobilisent, les gestionnaires font la sourde oreille, ignorent leurs demandes, méprisent leur colère.

Dans ce contexte, les ratios de professionnelles en soins/patient-es sont un remède essentiel à un épuisement collectif. La pénurie de main-d’oeuvre a le dos large ; les employeurs ne peuvent plus se cacher derrière cette chimère. Il en va du bien-être de milliers de travailleuses du Québec et de la qualité des soins à d’autant plus de patients.

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