Le premier débat en anglais, «dîner de cons» façon québécoise

Les quatre chefs ont participé lundi soir à un premier débat télévisé en anglais. Selon l'auteur, pendant l’heure et demie qu’a duré ce débat, la communauté politique québécoise a perdu de vue ses intérêts.
Photo: Jacques Nadeau Le Devoir

Les quatre chefs ont participé lundi soir à un premier débat télévisé en anglais. Selon l'auteur, pendant l’heure et demie qu’a duré ce débat, la communauté politique québécoise a perdu de vue ses intérêts.

Sidérant, ce premier débat en anglais. Il s’est façonné sur une étrange prémisse qui, bien qu’elle soit tout à fait dans l’air du temps, est pour le moins pernicieuse : les Anglos-Québécois seraient au Québec une sorte de minorité opprimée dont les institutions seraient menacées. Et les animatrices d’y aller de questions sur la survie des commissions scolaires anglophones, sur le racisme systémique qui, comme chacun le sait, est une plaie généralisée au Québec et sur ce ô combien nécessaire « secrétariat aux relations avec les Québécois d’expression anglaise » qui a fait l’objet d’une question vitale à laquelle il fallait répondre par oui ou par non. Et les penseurs du consortium d’alimenter cette vision victimaire en plantant la question d’un réfugié nigérian sur l’avenir d’un immigrant anglophone dans ce Québec vraisemblablement devenu trop français à leur goût.

Comme le soulignait Lise Bissonnette à Michel C. Auger sur les ondes de la radio de Radio-Canada le lendemain du débat, il était consternant de ne voir aucun des quatre chefs répliquer à ces questions plutôt tendancieuses. Il aurait été de bon ton, par exemple, de souligner que la minorité anglophone occupe, par libéraux interposés, presque sans interruption le pouvoir depuis le début du troisième millénaire dans ce Québec mal-aimé. Pas mal pour une minorité opprimée. De rappeler que partout à Montréal, le français régresse et que moins de Québécois parlent cette langue à la maison et au travail depuis 2011 selon Statistique Canada. Qu’il est sans doute plus facile pour un unilingue anglophone de trouver du travail à Montréal que pour un unilingue francophone. Que les institutions telles que les commissions scolaires anglophones sont (contrairement par exemple à la loi 101) protégées par la Constitution canadienne. Que partout triomphe la culture anglophone mondialisée pendant que le français est délaissé par les jeunes francophones qui écoutent moins de musique et regarde moins de films d’ici que les générations précédentes. Et incidemment, que le Québec est un minuscule village gaulois entouré d’un océan anglo-saxon. Mais les quatre chefs ont tout laissé passer ou presque, occupés qu’ils étaient à faire la cour à l’électorat comme des vendeurs racoleurs pour lesquels la pire tragédie serait de « perdre une vente ». Plus colonisé que ça, tu exiges un deuxième débat en anglais pour qu’il y ait parité avec le français…

Racolage de vendeur… Je pense à Manon Massé et aux solidaires, pour qui toute victime est un client potentiel, même les victimes autoproclamées comme nos « Anglos martyrs ». Et Manon de dire oui à tout, le secrétariat, la promotion de l’anglais dans la fonction publique et bien entendu la commission sur le racisme systémique. Alouette ! Racolage de Legault qui acquiesce lui aussi à un secrétariat anglophone malgré les réticences déjà exprimées. Racolage de Couillard qui renie sa position passée sur le « Bonjour-Hi » et qui sombre dans les pires compromissions devant sa clientèle cible. Et le racolage imbécile de Lisée qui joue aux premiers de classe. « J’ai été le premier à demander ce débat, je suis celui qui veut le plus protéger vos institutions. » Et de répéter à Legault pendant toute la soirée : « Encore une fois, vous n’avez pas compris la question… Encore une fois, vous ne répondez pas. » Ce n’est pas toujours utile d’avoir raison, aurait-on envie de dire à M. Lisée tant il donnait l’impression de chercher à se montrer brillant ou à régler des comptes avec le chef de la CAQ plutôt que faire avancer la cause du PQ. Comme s’il n’avait pas compris, lui le fin stratège, qu’aucun vote perdu par la CAQ n’irait au PQ. Aucun. Chacun d’entre eux ira aux libéraux, dont le chef était d’ailleurs souvent mort de rire.

Pendant l’heure et demie qu’a duré ce débat, la communauté politique québécoise a perdu de vue ses intérêts, et surtout la réalité géopolitique du Québec qui n’est pas un pays et où cette position majoritaire des francophones est en réalité une fiction de l’esprit. Ce débat était un piège. Désormais, il ne sera plus possible d’éviter sa répétition et ainsi de participer à une mascarade tous les quatre ans. Une mascarade où la vraie minorité, les francophones du Québec, rend des comptes aux maîtres canadiens, les anglophones, qui se déguisent en minorité opprimée pour se donner bonne conscience le temps d’une élection. Si vous croyez nos amis anglophones opprimés, demandez-vous qui aura gagné ses élections pour une cinquième fois en 15 ans si le Parti libéral est élu le 1er octobre prochain ? « Dîner de cons », je disais…

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