Et si la Régie retrouvait son pouvoir sur HQ Production?

«Quel parti aura le courage et la volonté politiques de s’engager officiellement à respecter l’esprit du pacte social qui a présidé à l’électrification du Québec au milieu du siècle dernier?» s'interroge l'auteur.
Photo: Adrian Wyld Archives La Presse canadienne «Quel parti aura le courage et la volonté politiques de s’engager officiellement à respecter l’esprit du pacte social qui a présidé à l’électrification du Québec au milieu du siècle dernier?» s'interroge l'auteur.

Réplique à la proposition de MM. Allaire et Nadeau, de l’Institut de la gouvernance d'organisations privées et publiques (publié dans l'édition du 16 août 2018 du Devoir).

Votre proposition de gouvernance des investissements en éolien concernant le projet Apuiat me semble avoir évacué le fait que, depuis plus de 20 ans, le gouvernement du Québec a fait du déploiement de la filière éolienne au Québec un cas de diversification énergétique d’intérêt collectif, ce qui a justifié d’intégrer son déploiement au processus annuel de tarification de l’électricité sous audiences de la Régie de l’énergie.

Le déploiement de la filière éolienne au Québec a ainsi été entièrement financé par les abonnés d’Hydro-Québec depuis 20 ans. Le mécanisme que vous proposez me semble également préjudiciable à l’évolution du réseau électrique du Québec, compte tenu des acquis de la filière éolienne au Québec telle qu’on peut en apprécier une analyse réalisée par Hydro-Québec en mai 2016 à la demande du gouvernement du Québec (voir Rapport IREQ-2016-0059)

Selon l’esprit de la proposition comptable que vous faites dans la section Idées du Devoir, si HQ devait tenter de priver le gouvernement de dividendes en raison du coût d’achat de la production d’Apuiat par sa division Production, les abonnés d’Hydro-Québec pourraient tout aussi légitimement exiger qu’HQ-Production remette au Distributeur les bénéfices annuels de la rente éolienne qu’il capte depuis plusieurs années sur ses exportations grâce à la commercialisation de stocks hydrauliques rendus disponibles précisément par la contribution de l’éolien aux approvisionnements annuels du marché intérieur que le Producteur n’a désormais plus à assurer. Et les montants annuels de la ristourne tarifaire aux abonnés ne sont pas négligeables…

Le Rapport annuel HQ 2017 (RAHQ2017), p. 79 de 94, indique que 3508 MW de capacité éolienne était en service au Québec en 2016. L’éolien a ainsi livré au moins 10 TWh d’électricité à Hydro-Québec Distribution pour alimenter une partie des besoins du marché intérieur du Québec en 2016. Un volume de stocks hydrauliques équivalent, correspondant précisément à ces 10 TWh éoliens, a ainsi été conservé dans les réservoirs d’Hydro-Québec Production en 2016, conférant au Producteur un potentiel de ventes d’électricité supplémentaire sur les marchés voisins en 2016 (marché de gros, ou marché spot) dont il s’est prévalu. On peut donc considérer en première approximation que 10 TWh du total de 34,4 TWh de ventes nettes à l’exportation du Producteur en 2016, loin de constituer la part des anges, représente bel et bien la part « éolienne » des volumes exportations du producteur, cela correspondant à la réalité physique même de la nouvelle dynamique des mouvements d’énergie dans le système électrique du Québec depuis l’entrée en service de l’éolien au Québec depuis 15 ans.

Le bénéfice net déclaré par le Producteur sur son volume total d’exportations en 2016 a été de 2,28 ¢/kWh (RAHQ, p. 31 de 94), ce qui permet d’évaluer qu’au moins 200 millions des 780 millions de bénéfice net déclaré par le Producteur pour ses activités d’exportations en 2016, sont directement tributaires-assimilables aux 10 TWh d’approvisionnements en électricité éolienne livrés en 2016 sur le marché intérieur du Québec par HQ-Distribution. Il me semble qu’une bonne partie de ces 200 millions de bénéfices déclarés du Producteur devraient, en toute équité tarifaire, revenir entièrement aux abonnés d’Hydro-Québec qui financent bon an mal an toute la production éolienne au Québec — et ne l’oublions pas tous les investissements d’Hydro-Québec dans le système électrique du Québec également — par la tarification de l’électricité, placée sous la juridiction de la Régie.

Le hic, c’est que les pouvoirs d’examen que prévoyait la Loi constitutive de la Régie de l’énergie sur les activités du Producteur ont été biffés de la Loi il y a 20 ans (par l’adoption, au bâillon, de la loi 116 de juin 2000).

Je pense pour ma part que la solution de gouvernance la plus directe exige de redonner sans délai à la Régie de l’énergie tous les pouvoirs d’examen dont elle a besoin pour faire équitablement et efficacement le travail de réglementation que les citoyens attendent d’elle. Une Régie avec de vraies « dents » demeure encore la première garantie d’une gouvernance équitable et efficace des investissements du secteur de l’électricité au Québec en 2018.

Quel parti aura le courage et la volonté politiques de s’engager officiellement à respecter l’esprit du pacte social qui a présidé à l’électrification du Québec au milieu du siècle dernier ?

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