«SLĀV» et «Kanata»: à la recherche des possibles sorties de crise

«Tout comme semble le vivre présentement le champ de la création artistique, le monde scientifique a vécu des moments de critique de cette liberté», rappelle l'auteur.
Photo: David Leclerc «Tout comme semble le vivre présentement le champ de la création artistique, le monde scientifique a vécu des moments de critique de cette liberté», rappelle l'auteur.

Si les controverses concernant l’annulation des spectacles SLĀV et Kanata se poursuivent, il y a lieu de commencer à réfléchir sur les possibles sorties de crise. En apparence, les deux débats peuvent être réunis sous le concept d’« appropriation culturelle », mais chacune de ces controverses renvoie à une situation sociohistorique très différente, celle-ci ayant une incidence sur les solutions qui peuvent favoriser le règlement de la controverse.

Pour celle qui concerne Kanata, une dimension mise en avant par les créateurs et créatrices du spectacle et nombre de leurs défenseurs renvoie à la liberté de création. Celle-ci ne peut supporter aucune forme d’encadrement, sauf par les lois qui touchent à la liberté d’expression dans une société démocratique.

Dans le champ de la recherche scientifique, la liberté du chercheur est aussi une valeur centrale. Le chercheur doit effectuer son travail dans un cadre institutionnel qui ne brime pas sa liberté créative, car la recherche est un domaine où s’exerce également la créativité. Tout comme semble le vivre présentement le champ de la création artistique, le monde scientifique a vécu des moments de critique de cette liberté. On lui reprochait entre autres le peu d’égard qu’il portait aux personnes sujets des recherches, ou encore, en ce qui concerne les nations autochtones, de reproduire des démarches colonialistes en s’accaparant les savoirs autochtones.

Au fil des ans, cette liberté a été balisée par différents documents tant sur le plan international (Déclaration de Singapour) que national (Énoncé de politique des trois Conseils : éthique de la recherche avec des êtres humains) et provincial (Politique sur la conduite responsable en recherche). Mentionnons aussi que toutes les recherches universitaires doivent recevoir l’approbation d’un conseil d’éthique de l’université où le chercheur a son point d’ancrage.

Ce niveau d’encadrement varie selon les pays, et les confrères et consœurs français avec qui nous travaillons jugent parfois les balises canadiennes et québécoises particulièrement contraignantes. Tout cet arsenal de balises éthiques s’explique facilement si on pense, par exemple, à des recherches réalisées avec des personnes ayant subi du harcèlement sexuel, et encore plus si ce sont des personnes mineures. Cet encadrement repose essentiellement sur trois principes énoncés dans le document canadien : « le respect des personnes, la préoccupation pour le bien-être et la justice ».

Au Québec, les recherches réalisées avec des populations autochtones profitent aussi d’un encadrement supplémentaire, énoncé dans le Protocole de recherche des Premières Nations au Québec et au Labrador. Aux principes mentionnés plus haut viennent s’ajouter trois valeurs fondamentales : « le respect, l’équité, la réciprocité ». Dans le champ de la recherche, on assiste donc à un aménagement de la liberté du chercheur qui doit tenir compte dans sa pratique de certaines exigences éthiques.

Pour ce qui est des nations autochtones, la portée de ces balises repose essentiellement sur leur légitimation par les instances démocratiques que se sont données ces nations. Au Québec, c’est l’Assemblée des Premières Nations du Québec et du Labrador qui confère toute son autorité morale au document et, en l’absence d’une telle légitimation, l’effet de ces balises auprès des scientifiques en serait grandement diminué.

Est-ce que le champ de la création artistique lié à des thématiques qui touchent les peuples autochtones désire se doter d’un cadre relationnel à l’exemple de celui que l’on retrouve au sein du champ scientifique ? À la suite de la controverse autour de Kanata, la question se pose. Si la réponse est positive, les processus adoptés par le domaine scientifique pourraient servir d’exemple. Or, les partenaires (artistes et Autochtones) doivent être conscients que l’élaboration de ces cadres prend du temps et qu’ils s’accompagnent de structures pour leur mise en œuvre.

Pour ce qui est de SLĀV ou de toute autre production artistique qui touche une problématique vécue par des groupes minoritaires, il est difficile de distinguer un porteur de légitimité à l’exemple des nations autochtones. Les contours identitaires de ces différentes minorités sont souvent flous, et aucune organisation de la société civile ne peut prétendre en être le porte-parole ni se poser comme représentante de l’ensemble d’une communauté.

Car les organisations de la société civile ne parlent qu’au nom de leurs membres. Ainsi, la CSN ne s’exprime pas pour l’ensemble des travailleurs et travailleuses du Québec, mais bien au nom de ses membres. Ce principe s’applique à toutes les organisations de la société civile, qu’elles soient de droite ou de gauche. La situation est différente pour les nations autochtones où la récente élection de M. Perry Bellegarde comme chef national de l’Assemblée des Premières Nations lui confère toute la légitimité pour discuter d’égal à égal avec les représentants du gouvernement canadien sur les sujets qui touchent les Premières Nations.

Pour ce qui est de la représentation des groupes minoritaires et de l’identification d’un ou de porte-parole, nous sommes donc, comme société, devant un défi démocratique, et il faudra faire preuve d’imagination pour créer un espace de dialogue où tous les partenaires seront porteurs de légitimité.
 

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