«XYZ»: il n’a jamais été question de censure

Vanessa Couville réagit, dans ce texte, au débat lancé par sa démission de la revue «XYZ».
Photo: Valérian Mazataud Le Devoir Vanessa Couville réagit, dans ce texte, au débat lancé par sa démission de la revue «XYZ».

Les questions soulevées par le débat autour de ma démission de la revue XYZ sont importantes, je dirais même capitales pour l’avenir de la littérature. On avait jusqu’à tout récemment coutume de dire qu’il était impossible, au Québec, d’avoir un débat public tellement le consensus et le statu quo étaient lourds. Réjouissons-nous donc d’avoir eu depuis quelques années tant de débats de société passionnants comme celui de la crise étudiante de 2012 ou encore la charte des valeurs, et maintenant l’éthique artistique avec SLĀV et Kanata. Malgré certains dérapages, la société québécoise ne peut que gagner à apprendre à débattre de questions difficiles sans tomber dans le populisme et la partisanerie.

Essayons donc, dans ce nouveau débat sur la culture du viol, d’élever le niveau des arguments au maximum de leur puissance, sans caricaturer la contrepartie, sans toucher par exemple ce fameux point de Godwin qui consiste à dépeindre l’adversaire sous les traits de Hitler, à l’assimiler au nazisme ou à un régime totalitaire, ce qui revient à refuser le débat. Dire, comme dans la réponse de XYZ du 28 juillet dernier, que ma position tient d’un régime totalitaire n’est pas seulement exagéré, mais insignifiant, voire insultant pour des millions d’êtres humains réels morts sous ces dictatures. Je me demande combien de gens ont souffert à respecter une éthique minimale. Ce que je sais des statistiques est qu’une étudiante sur trois, dans mes classes — à qui je tente d’enseigner que leur métier est de vivre —, a subi une agression sexuelle au cours de leur vie et que je refuse désormais de reconduire des scénarios de la culture du viol au sein de leurs institutions.

C’est précisément ce genre d’arguments qu’il faut éliminer du débat public pour qu’il puisse avoir lieu de manière respectueuse. Présenter ma démission comme un geste irréfléchi et soudain tient aussi de la mauvaise foi, puisque Jacques Richer (dans le texte du 28 juillet) sait très bien que nous avons discuté, lui et moi, de ma proposition de publier le texte, mais d’enlever mon nom de ce numéro. Il a refusé en me forçant à accepter un texte qui va à l’encontre de toutes mes valeurs.

Clarifions la chose une fois pour toutes : il n’est pas question de censure dans ce débat, puisque j’ai moi-même proposé de le publier, mais en m’excluant de cette publication. Il n’a jamais été question d’interdire la représentation du viol, mais plutôt la banalisation de cette représentation. La nuance est d’importance. Jacques Richer sait très bien aussi que j’ai rencontré à plusieurs reprises les membres du comité de rédaction, chez lui, au restaurant, au Salon du livre de Québec, dans un jury pour un prix de la revue et que j’ai beaucoup dialogué avec l’ancien directeur. Comment qualifier ce genre d’argumentation de la part de Jacques Richer, qui tire avec violence sur le messager pour ne pas entendre le message, employant des arguments ad hominem sans se remettre en question ? C’est encore une fois exactement ce qu’il faut bannir d’un débat honnête cherchant non pas à avoir raison à tout prix, mais qui veut au contraire le mieux pour le public auquel il s’adresse.

Un boys’ club n’est pas seulement un comité exclusivement composé d’hommes, bien qu’ils occupent les fonctions de direction et d’administration. C’est surtout un esprit machiste régnant dans une institution qui muselle les femmes dissidentes, les réduisant à un rôle de façade.

Il faut aussi sortir du débat public toute forme d’argumentaire fondé sur la pseudo-neutralité. La neutralité n’existe pas, elle est toujours une façon d’avaliser le pouvoir, la domination et le statu quo. Non, la littérature n’est pas neutre, elle est née au début de l’ère moderne en opposition au régime aristocratique des belles-lettres dans le but de donner la parole aux absents de la démocratie à venir. La littérature participe d’une vision politique et idéologique qui la traverse depuis plus de deux cents ans et qui trouve aujourd’hui ses limites dans les questions soulevées par les dérives de la liberté d’expression. La littérature n’est pas une liberté éternelle tombée des cieux, elle est marquée dans l’histoire par un contexte qui change sous nos yeux et auquel il faut accepter de répondre.

Je voudrais, en terminant, remercier la grande sensibilité des gens qui m’ont soutenue dans cette mobilisation, reconnaissant l’importance de l’enjeu. À ces personnes qui s’inquiétaient de mon avenir, je désire vous rassurer : si être intègre implique de quitter le capital symbolique, de me détacher de l’argent, puis de la lâcheté, j’accepte de vivre dans ce dénuement essentiel.

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