L’affaire «SLĀV» ou le double malaise

En 1951 était fondé le Théâtre du Nouveau Monde. Ses fondateurs avaient pour ambition de donner une scène d’envergure à une minorité francophone d’Amérique du Nord qui peinait à exprimer dans sa langue et dans ses mots des oeuvres artistiques dignes de ce nom.
Le premier malaise est ressenti quand on constate que, en 2018, ce peuple qui a notamment réussi à se définir par le succès de ses institutions culturelles peine à intégrer à ses programmations la diversité qui s’y joint ou qui était déjà là. Cela arrive alors qu’il serait primordial que cette diversité sente qu’elle participe au projet collectif québécois et s’approprie librement cette identité que l’on veut toujours plus collective sans chercher à « invisibiliser » son aspect pluriel. Aussi, lorsque les institutions font la part belle à l’histoire de minorités opprimées qui participent à l’existence du Québec tel qu’on le connaît, elles le font avec un certain manque de sensibilité quant à la nécessaire licence sociale à obtenir pour éviter le piège, conscient ou non, de l’appropriation culturelle.
Le second malaise vient lorsque les membres de cette diversité et ses alliés manifestent devant un symbole de l’affirmation du fait français d’Amérique avec des discours et des slogans essentiellement en anglais. Cette réalité renvoie les Québécois à cette inquiétude perpétuelle de minorisation des francophones, qui tout au plus se maintiennent à l’intérieur des frontières du Québec, mais avec ce doute constant quant à la capacité des institutions à transmettre le goût de vivre et de consommer, notamment dans le domaine des arts, en français. Cette inquiétude est particulièrement vive dans une société appelée à toujours se métisser davantage. Cela renvoie aussi à un sentiment d’imposition d’un emprunt culturel anglo-saxon de la fracture raciale, qui a été vécue avec davantage d’intensité au sud de notre frontière, faisant oublier qu’il y a aussi eu de l’esclavage en Nouvelle-France.
Bref, dans ce tableau un peu triste, chacun met en avant son statut de minoritaire et personne n’écoute personne… Intersectionnalité, quand tu nous tiens…
Je crois que, dans ce débat, tous gagneraient à baisser un peu le ton. Pour ma part, j’ai choisi mon camp. Sans être individuellement racistes, les instigateurs du projet SLĀV auraient pu, je crois, faire davantage pour expliquer leur démarche et, si cette dernière était jugée non satisfaisante par les groupes minoritaires visés, faire plus pour éviter de tomber dans le piège de l’appropriation culturelle, que cela ait été conscient ou non. Lorsqu’on écrit sur des communautés dont on ne peut se réclamer, il est désormais nécessaire d’avoir une licence sociale du groupe visé, à tout le moins dans la démarche. Cela ne veut pas dire qu’il faut éviter le sujet ou se soumettre totalement aux vues de nos interlocuteurs. Cela veut dire qu’il faut avoir conscience des sensibilités en présence et rechercher la participation des groupes visés. Idéalement, cela signifie qu’on devrait travailler en collaboration avec le groupe dont on parle lorsqu’on n’appartient pas à ce groupe, ou à tout le moins obtenir de sa part un certain aval du projet.
Maintenant, pour ce qui est des gens qui dénoncent le projet, on ne peut reprocher à un groupe qui a peu de moyens d’exprimer son désaccord avec les moyens à sa portée. Je me désole néanmoins de l’occasion manquée de faire preuve d’un peu plus de sensibilité dans le mode de transmission du message. À titre personnel, je dois avouer que c’est beaucoup plus difficile d’écouter lorsqu’on se sent interpellé dans sa propre vulnérabilité de francophone minoritaire en Amérique, et ce, même si j’essaie d’être conscient de tous mes privilèges comme Québécois francophone majoritaire. Malheureusement, sur mon fil Facebook, j’ai vu bien des gens se contenter de tirer rapidement sur les messagers pour ne pas avoir à faire la part des choses.
Bref, encore une fois, intersectionnalité, quand tu nous tiens…