Indépendance et conflit d’intérêts dans les OBNL semi-privés

La controverse entourant les agissements des membres du conseil d’administration (CA) du CEROM (Centre de recherche sur les grains) publiée par Le Devoir et Radio-Canada en début de semaine mérite qu’on s’attarde à plusieurs questions de gouvernance pour ce type d’OBNL. Le centre de recherche, majoritairement financé par le MAPAQ, a fait les manchettes à la suite d’une série de dénonciations d’ex-employés qui se questionnent, entre autres, sur l’ingérence des membres du conseil d’administration dans la publication de leurs recherches.
En ne voulant pas être trop impliqués dans les organismes qu’ils contrôlent indirectement par leurs contributions financières, les gouvernements se retrouvent eux-mêmes dans des situations inconfortables qui éclatent par délation, car le public en a marre de ces manques d’intégrité et est, au bout du compte, le grand perdant ! Le cas du CEROM n’est pas le premier et ne sera pas le dernier si une réflexion sur la gouvernance et la reddition de comptes des OBNL « semi-privés » n’est pas amorcée.
Dans ces articles, on évoque l’indépendance des administrateurs. Au sens de la loi, les administrateurs du CEROM sont indépendants puisqu’ils ne travaillent pas pour l’OBNL.
Mais, dans ce cas-ci, cette forme d’indépendance est-elle dans l’intérêt de l’OBNL de par les fonctions occupées par la majorité des administrateurs ? On observe plutôt un déséquilibre des profils des administrateurs au sein du CA, ceux-ci provenant majoritairement de l’industrie de la production de grains. Ne serait-il pas pertinent qu’un chercheur du CEROM siège au CA comme représentant des employés ? Bien qu’il ne soit pas indépendant au sens de la loi, il peut être un atout lors de discussions sur les recherches effectuées. Il est dans l’intérêt des dirigeants d’obtenir de l’information sur les affaires de l’organisation par le biais de différentes personnes. De plus, la direction générale peut difficilement contredire les membres du CA, qui sont ceux et celles qui l’embauchent ou le congédient.
Par ailleurs, peut-on discuter du lien de dépendance (et non de l’indépendance) entre le MAPAQ et le CEROM ? De quelle manière le gouvernement peut-il parler d’indépendance par rapport au CEROM quand il le finance à près de 70 %, selon Le Devoir et Radio-Canada ? La dépendance financière est indéniable. Cesser le financement public du CEROM équivaut à une fermeture très probable à court ou moyen terme. Catégoriser cet OBNL de « privé » au même titre que plusieurs autres OBNL dont le financement de l’État n’est pas majoritaire équivaut à analyser de manière monolithique un secteur qui ne l’est pas. Le CEROM et bien d’autres OBNL, dont la majorité des fonds proviennent des subventions et d’autres taxes directes ou indirectes, sont plutôt des OBNL « semi-privés ». Pourquoi n’avons-nous pas accès aux états financiers annuels sur le site Internet de ces organismes ? Les fonds publics étant le mode de financement dominant, il y a lieu de remettre en question cette absence publique de reddition de comptes.
L’intérêt et le conflit d’intérêts
Dans un article sur le site de Radio-Canada, on se questionne sur le fait que le conseil d’administration soit « entièrement dominé par le privé ». En soit, cela ne constitue pas un problème puisque les administrateurs d’OBNL sont très souvent issus d’entreprises privées. Ces administrateurs ont un profil d’expertise qui cadre avec la mission du CEROM, ce qui est une bonne pratique de gouvernance. Ces derniers ont un intérêt pour la recherche sur les grains pour qu’ils soient plus performants et durables, soit la mission du CEROM. Ce qui est plus discutable, c’est le fait que les administrateurs ne semblent pas démontrer de « neutralité dans les orientations du centre » et que Les Producteurs de grains et la Coop fédérée aient possiblement droit à des sièges au CA en raison d’une petite contribution (environ 5 %) de leur organisation respective au financement du CEROM. L’intérêt de ces individus envers le CEROM peut se convertir en apparence de conflit d’intérêts lorsque ces derniers prennent connaissance de résultats de recherche qui vont à l’encontre de leur pratique d’affaires au sein de leur entreprise. Et cela peut devenir un conflit d’intérêts si des pressions sont exercées pour que les chercheurs ne puissent pas publier ces travaux de recherche (comme le rapporte Sarah Champagne dans Le Devoir de lundi dernier). Dans ce cas-ci, les dérapages sont fort probables en raison de la liberté donnée au secteur privé de choisir les administrateurs.
Il serait souhaitable que les instances gouvernementales (fédérales, provinciales et municipales) qui alimentent des structures semi-privées comme le CEROM participent de manière proactive aux choix des administrateurs en créant, par exemple, un comité de nomination composé de chercheurs indépendants : des agronomes enseignants, des producteurs agricoles, etc. Les mandats des administrateurs devraient être renouvelables pour un maximum de six ans afin d’assurer une rotation, ce qui permettrait aussi de varier les profils et les intérêts. Finalement, les états financiers devraient être disponibles et accessibles au public.