Revenu minimum garanti: mourir de faim n’incite pas à travailler

Lundi dernier, le comité d’experts sur le revenu minimum garanti (RMG) rendait public son rapport final, accompagné d’une série de recommandations afin de permettre une amélioration du filet social québécois. Ces recommandations visent à faciliter l’accès aux mesures de soutien aux personnes les plus démunies. Les experts ne recommandent pas l’implantation d’un RMG, concluant plutôt qu’en acceptant une définition suffisamment large du RMG, celui-ci s’appliquerait d’ores et déjà au Québec. Le comité recommande également de plafonner l’aide sociale à 55 % de la mesure du panier de consommation (MPC) afin de garantir l’incitation à l’emploi.
Nous sommes d’avis qu’il est faux de dire que les mécanismes de solidarité sociale du Québec correspondent à ce qu’il est adéquat de considérer comme un RMG. Au demeurant, nous sommes inquiets de voir le rapport final démontrer une négligence des fondements de la lutte contre la pauvreté, omettant notamment de prendre en compte les droits garantis par nos Chartes.
Le filet social au Québec n’est pas un RMG. D’une part, un RMG se veut inconditionnel. Ainsi, nul besoin d’en faire la demande pour y avoir droit : les prestations sont versées à tous et à toutes. On défait alors le fardeau de démontrer sa précarité au bénéficiaire. C’est pour cette raison que de nombreux théoriciens du RMG avancent que celui-ci peut réduire la stigmatisation qui affecte actuellement les prestataires du filet social.
D’autre part, le RMG se dit universel, en ce sens qu’il s’adresse à tous, peu importe le statut et la situation de la personne. Tout comme pour le programme fédéral de Sécurité de la vieillesse, un RMG ne prend pas en considération les revenus du bénéficiaire, et de ce fait, il évite de tracer une ligne entre les ayants droit et les exclus. Il est accordé au nom de l’appartenance à la société et vise à assurer que tous peuvent vivre dignement. Un RMG, contrairement à l’aide sociale, n’est pas retiré à la source aux bénéficiaires lorsque ceux-ci augmentent leurs revenus, mais les allocations sont récupérées par le biais du système d’imposition.
Dignité
Selon Statistique Canada, le MPC « est une mesure de faible revenu basée sur le coût d’un panier de biens et de services correspondant à un niveau de vie de base ». Un niveau de vie de base est le minimum de la décence, pas un luxe. Alors, que dire d’un projet qui vise à plafonner l’aide aux plus démunis à 55 % des biens et services de base ? Non seulement c’est insuffisant, mais c’est aussi une négation même du droit des personnes à vivre dignement, droit qui est garanti par notre Charte québécoise.
Pour le comité, la précarité, la pauvreté et la faim semblent être des maux nécessaires puisqu’ils incitent les individus à réintégrer le marché de l’emploi. Or, bien que la lutte contre la pauvreté et l’exclusion sociale dépendent de ressources économiques, cette lutte ne vise pas le développement économique, mais l’épanouissement de tous les êtres humains.
La logique visant à maintenir les personnes les plus vulnérables dans une extrême précarité fait fit des facteurs conjoncturels qui excluent certains individus vers les marges du marché du travail et renvoient nos problèmes de société sur le dos des individus.
Rappelons que l’article 45 de la Charte des droits et libertés reconnaît un droit à des mesures d’assistance financière et à des mesures sociales « susceptibles d’assurer un niveau de vie décent ». D’aucune manière cet article ne nous indique que ces mesures doivent être limitées afin de pallier de potentielles pénuries de main-d’oeuvre.
Or, voilà tout le paradoxe : alors que nos sociétés n’ont jamais créé autant de richesses, les disparités de revenus entre les personnes les plus nanties et les plus précarisées augmentent sans cesse. Nous sommes en droit de nous attendre à ce que l’État arrime ses politiques avec les besoins actuels, et cela, de manière à garantir le respect des droits des plus vulnérables.
Changement de cap
Depuis plusieurs années, nous assistons à un véritable changement de cap des discours associés aux politiques sociales. En effet, nous voyons progressivement le discours public évacuer les notions de solidarité et de dignité pour lui préférer les notions de responsabilité individuelle et de retour en emploi.
En ce sens, lorsque le comité d’experts argue que « [l]a participation du plus grand nombre au marché du travail est essentielle à la croissance de l’activité économique », il s’inscrit en parfaite continuité avec cette mutation discursive où la pauvreté et l’extrême pauvreté ne doivent plus être combattues parce qu’elles compromettent la dignité humaine, mais plutôt parce qu’elles sont accompagnées de coûts financiers.
Une réflexion s’impose sur notre manière de concevoir la lutte contre la pauvreté. Les gouvernements doivent prendre acte des changements sociaux et technologiques, ainsi que leurs impacts sur le travail. Il ne convient pas de laisser à la seule charge de l’individu sa réintégration dans le marché de l’emploi, nous devons réinscrire la solidarité et la dignité au coeur de notre filet social. Il faut se rappeler que vivre dans la dignité est un droit, pas une menace pour l’emploi.