Comment ne pas toucher aux causes systémiques du cycle de la pauvreté

Alors que la période des vacances bat son plein, la pauvreté, elle, ne prend pas de pause. Tel est le cas aussi pour les groupes opposés à la loi 70, qui ont appris le 12 juillet dernier la publication du règlement visant la mise en oeuvre du programme Objectif emploi (participation obligatoire pour les nouveaux demandeurs d’aide sociale et application de sanctions financières pour ceux dont la participation est jugée insatisfaisante).
Devant ce fait accompli, ils doivent ainsi préparer leur participation à la période de consultation tandis qu’ils fonctionnent avec des équipes réduites ou ferment carrément leurs portes durant l’été, en raison notamment du sous-financement de leurs activités.
Outre le caractère antidémocratique de ce type de manoeuvre, il apparaît aussi primordial de dénoncer la trame de fond qui s’y cache. Depuis près de 15 ans maintenant, les libéraux gouvernent en accordant la priorité absolue à l’impératif économique, tout en exacerbant la conflictualité sociale.
La stratégie consiste à adopter une approche autoritaire en imposant des réformes néolibérales à grande échelle tout en limitant le rapport de force des groupes sociaux qui s’y opposent, par exemple en réduisant le financement du secteur communautaire.
Confrontés à ces projets de réforme, les groupes communautaires se retrouvent devant l’obligation de se consacrer essentiellement à la défense d’acquis sociaux (fruits de longues luttes sociales) plutôt que de militer essentiellement pour des changements structurels menant à plus de justice sociale.
Conflictualité
Une telle stratégie a aussi pour effet d’inverser les positions symboliques de la conflictualité sociale — une thèse riche de sens, mise en avant par Éric Pineault, professeur au Département de sociologie de l’UQAM.
Le gouvernement s’attribue ainsi un rôle « progressiste » en incarnant le pôle du « changement » (démantèlement progressif de l’État-providence), tandis que les groupes communautaires deviennent les représentants du « statu quo », luttant pour « conserver » le filet social qu’ils ont contribué à mettre en place.
Conséquemment, il devient de plus en plus difficile pour ces derniers d’obtenir l’appui de la population par rapport à leurs revendications, pendant que les réformes néolibérales du gouvernement se retrouvent légitimées (une tendance confirmée par les récents sondages qui placent le Parti libéral au premier rang des intentions de vote).
Faire preuve de solidarité envers les personnes faisant face à la précarité ne semble effectivement pas faire partie des priorités de notre gouvernement et, bien malheureusement, d’une quantité non négligeable d’électeurs. Les sempiternelles promesses de baisses d’impôt font encore leurs preuves au sein de la population, alors qu’elles auront été obtenues à un fort coût socioéconomique.
Pour justifier les frustrations légitimes probablement ressenties par une majorité de citoyens, le discours utilisé par le gouvernement Couillard s’est montré plutôt efficace : le financement de notre gamme de services publics et de nos protections sociales serait devenu insoutenable et nuirait à l’économie.
Couper de façon importante dans ces deux sphères budgétaires représente donc la première conséquence logique de ce discours, la deuxième étant d’accorder la priorité à la stimulation du secteur privé dans l’espoir de générer enfin plus de richesse. Finies les réflexions sur la complexité des facteurs sociaux, économiques et culturels qui contribuent à la reproduction de la pauvreté.
La carotte et le bâton
Le discours promu par les libéraux se base plutôt sur les notions de mérite et de volonté pour expliquer de tels problèmes sociaux. Par exemple, il faut « mériter » l’assistance de l’État sous forme de prestations d’aide sociale (628 $ par mois) en faisant preuve de « volonté », c’est-à-dire en participant activement au programme obligatoire Objectif emploi, qui inclut des mesures incitatives telles que des augmentations de prestations pouvant atteindre 260 $ par mois. De son côté, le manque de volonté est sanctionné par des coupes dans les prestations pouvant atteindre 224 $ par mois.
Non seulement cette tactique de la carotte et du bâton risque d’échouer, mais elle contribuera aussi à l’entretien des préjugés envers les personnes en situation de pauvreté et d’exclusion. Aussi déplorable soit-elle, cette tactique aurait plus de chances de fonctionner si les participants pouvaient espérer des améliorations significatives de leurs conditions de vie. Étant donné le taux du salaire minimum (10,75 $) et le type d’emplois disponibles à court terme pour les prestataires d’aide sociale — dont la majorité est sous-scolarisée —, le programme Objectif emploi n’engendrera probablement pas les effets escomptés.
Même si la crainte du bâton suffisait à forcer la réinsertion de nombreux participants sur le marché du travail — qui viendraient, pour la plupart, gonfler les rangs des travailleurs pauvres —, on ne s’attaquerait pas plus aux causes systémiques qui entretiennent le cycle de la pauvreté.
À l’opposé, de véritables politiques structurelles de formation, de création d’emplois et de réduction des inégalités sociales auraient plus de chances de stimuler la « volonté » des prestataires d’aide sociale à se tailler une place sur le marché du travail. Mais pour financer de telles mesures, il faut aller chercher l’argent là où il est et rétablir la participation des acteurs économiques les plus privilégiés aux revenus de l’État. Il s’agit là d’un autre débat.